Une fille comme les autres - Jack Ketchum
08/06/2015
Une petite bourgade du New Jersey, fin des années 50, David, 12 ans, vit sa vie pépère d'ado avec ses potes, dont son meilleur ami Donny Chandler. Jusque-là pas de fille à l'horizon susceptible de l'intéresser. Cet été-là, pourtant, il rencontre Meg qui avec sa petite sœur Susan ont été confiées à leur tante, Ruth Chandler, après le tragique accident qui a tué leurs parents.
David conquis par le sourire de Meg est loin d'imaginer que l'arrivée des filles chez les Chandler va bouleverser sa vie à jamais. Bienvenue en enfer!
Ceux qui me connaissent savent que je ne lis pas (ou rarement) la 4ème de couverture d'un roman avant de me lancer dedans, aussi la lecture des avis de copinautes remontant à loin, j'avais omis le fait que cette histoire était librement adaptée d'un fait malheureusement bien réel.
Je me suis donc lancée dans ce titre sans autre information que celle "récemment" donnée par ma kiné "c'est une histoire terrible mais il faut que tu la lises!" Quelques mois plus tard, un beau matin j'entamais donc sa lecture sur ma kobo. Quelques heures plus tard, je l'achevais profondément bouleversée et révoltée par son contenu.
Je passe sur la préface écrite par Stephen King qui dit tout le bien qu'il pense de l'écriture de Jack Ketchum (de son vrai nom Dallas Mayr) et qui souhaite aussi sans doute aviser clairement le lecteur de ce qui va suivre. Heureusement pressée que j'étais de me plonger dans le vif de l'histoire, j'ai fini par survoler cette préface pour n'y revenir qu'après ma lecture. L'issue donc m'était encore inconnue.
Le roman commence par une interpellation directe du narrateur au lecteur : que sait-il de la douleur? Lui, oppose la douleur physique à celle psychologique, cette dernière étant selon lui plus lourde de conséquences pour celui qui l'a vécue. Ce narrateur c'est David, 41 ans, un homme bien sous tous rapports qui se propose, à l'aube d'un énième mariage, de soulager sa conscience en nous livrant l'histoire d'un drame datant de presque 30 ans. Une tragédie mettant en scène le clan de l'Impasse (lui, les Chandler mère et fils, d'autres gosses) et les dernières arrivées Meg et Susan Loughlin.
Retour en arrière, l'auteur met en place lieux et personnages :
Une ville du Midwest, des gamins s'occupent comme ils peuvent dans la chaleur de l'été. David fait la connaissance de Meg, de deux ans son aînée. Subjugué, il est alors heureux d'apprendre que cette dernière vit chez sa voisine Ruth Chandler, une femme qu'il trouve exceptionnelle. Il faut dire que celle-ci est non seulement la mère de son meilleur ami Donny, mais est aussi bien plus cool que toutes les autres mères de l'Impasse, la sienne comprise.
Le lecteur apprend au détour d'un échange entre David et Donny que Meg et sa petite sœur ont été confiées à "tante" Ruth suite au décès tragique de leurs parents dans un accident de voiture, la petite est d'ailleurs encore lourdement handicapée par des attelles aux jambes et bras.
L'arrivée de la jolie Meg n'est pas sans émoustiller les garçons, mais alors que David se lie d'amitié avec la jeune fille, les frères Chandler de leur côté se montrent assez distants avec elle et sa sœur.
Le récit glisse alors peu à peu dans l'horreur.
David voisin proche des Chandler est témoin de réactions étranges de Ruth envers les filles, d'accès de colère et humiliations infondées. Mais il choisit de se taire, de fermer les yeux alors même que Meg lui confie ne pas se sentir bien dans cette maison et être victime, avec sa sœur, de mauvais traitements. Il mettra en doute les accusations de Meg contre Ruth parce que cette femme qu'il connaît, qu'il apprécie n'a jamais montré ce visage peint par l'adolescente.
Plus tard, il continuera de laisser "les choses suivre leur cours" alors qu'il assiste d'abord médusé et inquiet à l'escalade de violence qui s'empare de Ruth envers les filles. Puis, stupéfait de voir qu'une adulte peut se livrer au même type de jeux pervers et sadiques auxquels il s'est déjà adonnés (en bien moins cruels que ceux présents) avec ses copains, et parce que Ruth incitera ses fils et peu à peu la bande de gosses de l'Impasse à faire de même, David finira par prendre de la distance avec sa conscience et être tantôt partie prenante, tantôt observateur silencieux des sévices infligés à Meg. Désir, empathie, révulsion, amour, honte, David aura bien du mal à résoudre le conflit intérieur que ses sentiments se livrent avant de revenir à la raison...
Comment vous dire à quel point ce récit m'a bouleversée. Ce n'était pourtant pas la première fois que je rencontrais dans un roman (qu'il s'appuie ou non sur des faits réels) de la violence gratuite, des scènes de sévices, de tortures à vous faire vomir mais ça, ce qui se joue dans les pages d'Une fille comme les autres, a fini par être juste insoutenable, à un point tel que j'ai dû interrompre ma lecture plusieurs fois, la poitrine oppressée, les larmes aux yeux devant l'horreur de ce que subissait cette pauvre et courageuse gosse (ainsi que sa petite sœur) et encore une fois profondément secouée par ce que l'être humain peut faire de pire (et je n'avais pourtant pas encore conscience que ce récit s'appuyait sur des bases réelles!).
Ce livre est extrêmement dur, d'une noirceur terrible et sans doute à ne pas mettre entre toutes les mains sans avertissements, mais il a le mérite, en nous confrontant au pire, d'éveiller la conscience du lecteur, de le responsabiliser face à certains actes, les siens comme ceux des autres.
Ce roman nous confronte à l'horreur de ce que tout être humain peut être amené à faire pour peu que l'on réveille ses instincts les plus bas et qu'il se sente absout par l'effet de groupe (parce qu'il est aussi question de ça dans cette histoire, le sens moral de David, des autres gamins est écrasé par le sentiment de toute puissance que lui confère le groupe et la permission même donnée par celle qui représente l'autorité, Ruth). Bien que l'envie de fuir ses pages d'horreur, ce récit soit forte, il ne faut pas détourner le regard.
Dire "je n'aurais jamais dû lire cette histoire" ou "je ne comprends pas qu'on aime ce livre à moins d'être pervers ou voyeur" et le traiter de mauvais roman, ça me paraît injuste.
Jack Ketchum a rendu avec maîtrise et brio, les travers d'une âme humaine en plein déraillement, l'ambiguïté des sentiments et pulsions, le conflit intérieur, l'impuissance délibérée ou pas, l'emprise du groupe sur l'individu, les mécanismes et leviers de pression sur lesquels jouer pour briser, les défaillances de l'éducation, du système peut-être aussi...
Ce roman aussi court soit-il donne immensément à réfléchir.
En cela, pour moi, même si ce qui nous est raconté ici est abjecte et révoltant (et c'est pire une fois qu'on sait que c'est arrivé réellement), ce roman est, avec tout le recul qu'il faut avoir pour le qualifier, une réussite et un coup de cœur.
La prise de conscience pour ne pas reproduire, ça passe aussi par la littérature et de tels livres.
"Je commençais à apprendre que la colère, la haine, la peur et la solitude sont autant de boutons qui n’attendent que la pression d’un doigt pour semer la destruction."
"La douleur ne se limite pas à la souffrance physique, à son propre corps – surpris – qui proteste contre une atteinte à sa chair.
La douleur peut venir de l'extérieur.
Quelquefois, ce que vous voyez peut faire mal. La forme de douleur la plus cruelle et la plus pure. Sans médicament ni sommeil pour l'atténuer, sans état de choc ni coma pour la fuir.
Vous la voyez et vous l'engrangez. Et ensuite elle vous possède."
"Non. La vérité, c'est que c'était moi. J'avais toujours attendu qu'une telle occasion se présente. Comme si quelque chose de totalement primitif avait saisi cette opportunité pour déferler sur moi et, une fois libérée, m'avait possédé, telle une bourrasque noire et violente que j'avais laissée se déchaîner en cette belle journée ensoleillée."
"Ce n'était plus de mon ressort. Du moins le pensais-je.
Un réel soulagement pour moi."
8 commentaires
j'ai ce roman dans ma PAL Numérique depuis une éternité, on m'en a dit du bien, mais on m'en a dit aussi qu'il fallait avoir le cœur bien accroché, mais comme c'est inspiré d'une histoire vraie, ça me fait peur. Je sais c'est un peu débile mais je peux lire des choses horribles dans un roman sans que ça me touche de trop car il y a la barrière de l'imaginaire, mais quand c'est une vraie histoire, et que je le sais, ça me touche beaucoup plus, du coup j'ose moins lire....
Mais je sais que je le lirai un jour.
Je l'ai lu, j'ai osé et bon sang, je ne regrette pas ma lecture ! Je suis passée par tout ce que tu décris dans ta chronique, j'ai souvent dû interrompre ma lecture, tant je me suis sentie "voyeuse" à la description des sévices subis par Meg... Bref, c'est un roman terrible et une expérience de lecture très particulière !
Ouyayah ! Vivement que je le lise alors !
J'aime ces livres qui bouleversent... Même si c'est dur parfois...
Merci pour ton bel avis sincère à coeur ouvert !
Je suis un peu comme Cledesol, j'ai besoin de me réfugier derrière la barrière de l'imaginaire quand il y a trop d'horreur ! Sachant que c'est inspiré de faits réels, je sens déjà la révolte monter rien qu'en lisant ton billet ^^ Je pense que ce roman n'est pas pour moi, mais je comprends qu'il puisse plaire pour toutes les émotions qu'il suscite ! Tant pis, j'assume mon statut de poule mouillée :D
En lisant la quatrième de couverture, je serai passée à côté, le sujet semble classique. Mais tu en parles avec beaucoup de ferveur, ça donne à réfléchir... mais comme Lupa en ce moment, je n'ai pas envie de violence, ni de trop d'émotion .. Alors je note ce livre pour plus tard ! bises ma c'era.
Ce livre m'a tellement pris aux tripes que j'en ai gardé un souvenir hyper fort. Je l'ai classé en coup de cœur aussi car c'est dingue l'effet qu'il suscite lors de la lecture !
Belle chronique C'era ! :)
@clédesol : rien ne presse, à toi de choisir le moment de te confronter à cette histoire terrible et si tu peux le supporter :)
@Ingrid : j'en ai profité pour relire ton avis du coup. Je n'ai pas eu cette impression de voyeurisme en fait tant j'étais choquée par l'inhumanité de ceux qui s'acharnaient sur Meg. Je crois que ça a pris le pas sur tous le reste.
@kyra : accroche-toi choupette parce que ça fait mal par où ça passe!
@Lupa : :) au moins tu sais où s'arrêtent tes limites dans ce que tu peux lire. Moi j'avoue que ce n'est pas ce registre-là qui me freine. Tu me fais réfléchir sur lequel d'ailleurs...
@licorne : merci! un jour où tu seras suffisamment gonflée à bloc pour assumer l'horreur de ces pages hein :) biz
@Lizouzou : relu le tien aussi d'avis, c'est vrai qu'il m'avait interpelé déjà à l'époque. Je ne regrette pas cette lecture coup de poing et je crois que je ne l'oublierai pas de si tôt en fait.
Merci à toutes de vos petits mots :)
Je ne connaissais pas du tout merci de cette découverte :)
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