Suréquipée - Grégoire Courtois
30/05/2017
La Blackjack, le prototype de la voiture organique par excellence, est au cœur d'une enquête éthique. Antoine son propriétaire a disparu. L'huissier indépendant Klein et le professeur Fransen vont fouiller la "mémoire" du véhicule afin de répondre à quelques questions que soulève cette affaire.
Écoutez...
C'est intriguée par le pitch que je me suis lancée dans ce roman. Intriguée mais tout de même un tantinet inquiète car je ne suis pas une fan absolue de voiture. Aussi un roman qui en met une, aussi particulière soit-elle, au cœur de l'intrigue, ça avait de quoi créer une certaine réserve malgré l'attrait.
Quid de mes craintes?
Rasées, après quelques pages seulement. Sur un roman de 160 pages, ça compte indubitablement de réussir à accrocher rapidement l'intérêt du lecteur. Et c'est ce que Grégoire Courtois parvient à faire par son amorce et le procédé narratif : des enregistrements. Chronologiques quand il s'agit des échanges entre Fransen et Klein, aléatoires lorsque la Blackjack livre ses perceptions du monde qui l'entoure et son rapport aux humains.
Et c'est bien là ce qui m'a plu, les sentiments de cette voiture face à tout ce qu'elle vit, sa difficulté à appréhender certains comportements et ses réponses pré-commandées ou improvisées, sa souffrance que l'écriture de Courtois rend tellement perceptible. Alors certes, la Blackjack ne parle pas (bien qu'elle ait une panoplie de sons), mais la console Jane (sorte d'intelligence artificielle) est là pour restituer verbalement les données enregistrées. Restituer seulement?
Et ça fonctionne à merveille parce que j'y ai cru sans réserves. Et, aussi surprenant que cela puisse être, je me suis attachée à ce véhicule organique en posant sur lui un regard non plus curieux mais amical, voire inquiet par rapport à ce qui lui arrive. J'ai totalement adhéré à ce personnage allant jusqu'à m'y attacher. C'est dire s'il y a quelque chose de pervers dans la manière dont le rapport à un véhicule se voit modifié par tout ce qui l'humanise ^^
La clé de l'intrigue n'est pas totalement surprenante mais c'est une image fort bien trouvée de l'auteur pour exprimer la passion dévorante qui peut saisir l'utilisateur.
L'auteur invite le lecteur à s'interroger sur les manipulations génétiques évidemment, sur les pratiques scientifiques et commerciales aussi. Celles qui font que cette dernière notamment s'affranchit sans difficultés de certaines considérations éthiques, tant qu'elle peut faire du profit en répondant aux demandes les plus folles des consommateurs.
Il pose aussi la question du langage et de l'interprétation des données (sensibles) et de ce que l'homme peut leur faire dire ou pas...
Moi, je crois qu'il pose surtout le doigt sur le rapport des Hommes aux choses, que ce soit celles qu'ils créent en jouant un peu au savant fou, ou que ce soit celles dont il a fait l'acquisition (le rapport de l'homme à sa voiture en est une parfaite illustration), et sur les dérives auxquelles il peut conduire.
Et si ces objets de notre vie courante étaient doués d'une forme de "vie" ou "conscience" qu'auraient-ils à nous dire de la manière dont nous les traitons? Et que serait le monde s'ils pouvaient s'affranchir de nous?
Grégoire Courtois est un auteur bien inspiré. Suréquipée est un roman court, assez percutant. Non dénué d'une plaisante tension, il interroge son lecteur et sait le surprendre. Innovant il ne l'est peut-être pas (clin d’œil à Christine de Stephen King) mais il est tout sauf ennuyeux.
"Peut-on penser sans langage ? C’est une question dont je laisse débattre les philosophes".
"Je suis celle qui ne devrait pas penser mais qui pense, parfois, quand aucune consigne n'est à appliquer, dans le repli des heures vides, quand elle est seule, quand aucune tâche n'occupe son esprit. Je suis parfois celle qui pense et je deviens".
"Tout est là, dans les plis sinueux de mon système mémoriel, le récit complet des faits incompréhensibles qui se sont produits. Tout ce que je n’ai pas compris. Du début à la fin. Peut-être que, grâce à Jane, les choses seront plus claires. Peut-être que les mots braqueront sur le mystère un éclairage salutaire. Les bons mots. Moi, je n’y peux plus rien. Mais Jane. Que Jane trouve les bons mots".
Merci aux Éditions Folio et n'hésitez pas à parcourir leur collection SF ici, vous y trouverez des petites perles.
7 commentaires
Une histoire (j'hésite à dire roman tellement c'est trop court) que j'ai beaucoup appréciée, bien ficelée et intéressante sur le rapport des Hommes aux objets comme tu le dis. Je n'en attendais pas forcément grand chose et j'ai été heureusement hâpée dans cette histoire.
Tout à fait La chèvre grise et ton avis, il faut le dire, a été important dans mon envie de lire ce roman (si si ça en est bien un ^^ ). Et oui, on est vraiment happé par cette histoire jusqu'à la fin.
C'est fait avec sensibilité et intelligence.
J'aurais hésité également. Merci pour ton avis qui me donne envie de découvrir ce roman original.
Ah mais me voilà bien contente de t'avoir convaincue de le lire! Hésite pas à venir partager ta chronique pour que j'aille te lire!
En lisant ton billet, j'ai tout de suite pensé à Christine du génial King justement... jusqu'à ce que tu le mentionnes à la fin ;-) 160 pages c'est peu, mais quand l'auteur fait bien le job cela peut suffire, et c'est apparemment le cas ici, alors tant mieux ! Merci pour cette découverte qui sort de l'ordinaire :)
Y a un petit clin d'oeil à King mais autrement, je pense que le traitement est différent. Il faudrait que j'essaie de trouver une interview de l'auteur parlant de son roman pour savoir s'il en parle de la référence à King, si elle est voulue ou si c'est nous lecteurs qui extrapolons ^^
Sur une histoire comme celle-ci, je pense que le nombre de pages est parfait. Il n'est pas toujours nécessaire d'avoir + de 200 pages pour saisir le lecteur hein! Quantité n'égale pas forcément qualité. Et en plus, c'est peut-être dans l'exercice d'un roman court que l'on peut mieux saisir la qualité de l'auteur. Je veux dire que s'il réussit en peu de pages à nous faire adhérer à son roman, c'est qu'il a du talent non? :p
Je suis bien d'accord ! Le format court est très exigeant pour l'auteur, et gage de qualité lorsque cela fonctionne pour le lecteur ;)
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