Sous Béton - Karoline Georges
09/05/2018
L'enfant est enfermé avec Père et Mère dans l’Édifice, immense tour de béton où si l'humain subsiste, l'humanité non. En lui grandit la question et elle grandit jusqu'à occuper un espace trop restreint. L'enfant matricule, sans nom, roué de coups, se fait petit, invisible jusqu'à vouloir se fondre dans le béton.
Avant d'écrire mon avis, j'ai eu besoin de le relire Sous Béton pour pouvoir mettre les mots justes sur cet avis.
Sensation d'étouffement, d'étranglement, de dégoût, de révolte, de manquer d'air, de nausée. Oppression oui, mais libération aussi. Cette lecture a été une gifle, un truc qui fait qu'à la fin je me suis sentie à la fois sonnée et réveillée. C'est très particulier comme sensation.
Et c'est très particulier comme histoire. Enfin, non, pas totalement. Comment dire, c'est plus dans la manière de dire l'histoire que dans le fond, que c'est singulier. Violent et pourtant poétique. Une expérience percutante et métaphysique?
Sous Béton, c'est une voix. Celle d'un enfant coincé dans un appartement aux murs de béton entre un père violent, drogué d'abrutissant, une mère dépressive, craignant son pourrissement.
L'appartement numéro 804, étage 5969, comme les mécanismes de (non)vie et de contrôles, se répète à l'infini dans une structure de béton appelée l'Édifice.
La vie, on ne sait trop pourquoi, est devenue impossible à l'extérieur. L'extérieur c'est la menace, c'est la mort assurée, l'extinction. L'écran est là pour le montrer, le prouver. Pas d'horizon, pas d'issue. Rien, rien que le béton salvateur, refuge ou prison, qui s'étend.
Le père à coup de coups s'assure que l'enfant enregistre, se taise, se fasse oublier, lui qui lui a volé à sa naissance la part d'attention et la nourriture qui lui revenait, lui qui occupe en ces quatre murs, trop de cet espace confiné et déjà bien trop restreint.
Alors l'enfant se fait petit, minuscule, se rapetisse, se replie en lui. Petit plus petit jusqu'à se rendre invisible. Et là, une part de lui se dissocie, veut comprendre et se rebiffe contre cette passivité à laquelle on l'oblige à se conformer, contre le non sens à tout ce qui doit être accepté en silence depuis toujours. Vient la question, la remise en question. Une légère fissure dans laquelle se glisser, un espace de liberté.
L'enfant sait ce qu'il lui reste à faire.
Alors, il accède à un autre niveau de conscience. A la fois effrayant et libérateur.
Il accède au Moi, au Tout. Il se transcende. Il n'est plus seul.
Les interprétations de ce court récit sont sans doute multiples. Personnellement, j'y ai vu une histoire sur la maltraitance. De toute évidence celle de l'enfant, exutoire aux frustrations du père surtout, mais de la mère aussi. C'est d'une violence inouïe d'assister à ça à travers les mots de l'enfant.
Au-delà de la maltraitance de l'enfant, il est aussi question de manipulation des esprits et de privation de libertés, d'enfermement. C'est assez terrible de voir à quoi l'humain peut se réduire lorsqu'on joue sur le levier de la peur, de la maladie, de l'extinction.
Le seul bémol à cette histoire vient peut-être des dernières pages. Le côté métaphysique m'a arrachée à l'effet béton armé des 200 pages précédentes. Une transition à laquelle je crois que je ne m'attendais pas et contre laquelle, je me suis un peu braquée. A la deuxième lecture, pourtant j'en ai bien plus apprécié la dimension et la portée. J'ai goûté avec moins d'à priori à ce qui s'est fait aussi prose devenue poétique.
Je dois dire que mon cerveau après cette lecture ressemble à une pelote de laine emberlificotée. J'ai l'impression d'y voir clair et en même temps, rien. Il y a tous les sentiments ressentis pendant que je lisais qui se bousculent (ils perdurent longtemps) et il y a l'intellectualisation de tout ça, comme une mise à distance. Peut-être un moyen d'amortir le choc de ce mur de béton que j'ai heurté volontairement à deux reprises.
"Je n'avais pas de nom, mais ça m'importait peu. Car je n'avais rien d'autre non plus."
"Avant ma disparition, j'attendais mon tour. [...] La plupart du temps, je craignais."
"Alors j'ai ravalé larmes, arguments et gémissements malgré l'état de tension qui grandissait en moi. Nul autre choix que l'immobilité. Réaction béton."
"Je ne comprends pas pourquoi je devrais continuer."
"Alors je suis disparu."
Merci aux Editions Folio de m'avoir fait découvrir une plume si spéciale.
14 commentaires
Cet étrange comme tu en parles! Je me demande quel est la part de SF dans cette histoire? Juste le positionnement d'enfermement ou y a-t-il une intrigue sur l'extinction au delà du relationnel autour de l'enfant?
Étrange dans quel sens Nicolas?
Le côté SF est dans l'univers développé, même s'il est confiné à cette tour et à ce qu'on laisse entrevoir de l'extérieur. Il y a tout un tas d'autres éléments mais je ne préfère pas tout dire. L'histoire tourne principalement autour du gosse, il est le catalyseur de ce récit. On ne sait rien de ce qui est arrivé, de ce qui a conduit à la construction de l'Édifice. Mais je ne suis pas sûre que ce soit ici l'important. Au final, moi ça ne m'a pas manqué de ne pas avoir le pourquoi du comment.
N'en dit pas plus C'era, je suis en train de me dire que je manque cruellement en manque de SF dans ma PAL, je tarderais pas à te demander une petite liste spécifique!
Je ne suis pas sûre d'être la mieux à même de te fournir une bonne liste de titre SF (à part ceux que j'aurais lus très récemment). Cela fera tout de même quelques titres ^^ Après je pourrai toujours te conseiller certain.es blogueur.ses chez qui tu trouveras de l'inspiration pour combler ce vide SF :p
Ouah, l'univers a l'air hyper oppressant, je ne suis pas sure que j'aurais réussi à aller au bout de cette lecture, j'ai toujours beaucoup de mal avec les livres où l'écriture crée un tel "malaise".
En tout cas je trouve que tu as réussi à écrire une très belle chronique !
Merci Chut Maman Lit :)
Je trouve ça fort moi quand un.e auteur.ice réussit à te faire ressentir des émotions très fortes même quand elles sont rudes. Un livre qui ne te fait rien ressentir c'est pas bon signe non?
Après la sensibilité de chacun fait qu'on adhère ou pas et tout le monde n'est peut-être pas capable de lire ce type d'histoire.
Cependant la fin étant plus poétique et "métaphysique" (j'ai toujours un doute quand j'emploie ce mot), je pense qu'elle permet de sortir de cette lecture, plus "apaisé" ^^
C'est vrai que les qualités d'écriture d'un.e auteur.rice se mesurent aussi à cette capacité à nous faire ressentir des sentiments forts en lisant... mais j'avoue que j'ai du mal avec les récits mêlant maltraitance d'un enfant et enfermement.
Au final, je pense juste que ce n'est pas un récit pour moi ;)
On a tous un seuil de tolérance à certaines lectures. Je cherche encore le mien. Ou peut-être que je l'ai déjà dépassé...
Houlà ça a l'air très particulier. Il faut se bétonner pour le lire :D
Singulier. Difficile au départ par sa violence (en tout cas, je trouve le début violent mais intéressant!) et puis particulier à la toute fin (qui a un peu refroidit l'effet claque ressenti jusque-là).
Mais franchement, je ne regrette pas du tout cette lecture. J'ai découvert une plume d'autrice très intéressante. Je vais essayer de me procurer ses autres écrits. Elle a l'air d'avoir un univers assez particulier.
Tu choisis des lectures positives. Rien que le résumé me rend claustrophobe.
Je choisis surtout des lectures qui provoquent quelque chose, réaction, émotions, etc.
Elle n'est pas négative pour moi cette lecture :) Qu'est ce qu'une lecture négative d'ailleurs?
Une lecture particulière, et qui percute, c'est tout a fait ce que j'aime ! Le recul est souvent salutaire pour démêler une pelote de laine, et même s'il persiste encore quelques nœuds, c'est quand même bien stimulant de s'y être adonner, n'est-ce pas ? ;-) Evidemment, je tâterais volontiers de ce béton-là moi ^_^ Grazie mille :)
Tout à fait. Mais j'avais pris tellement de recul, qu'une relecture a été nécessaire pour recapter le choc initial et générer quand même une autre réaction : l'esprit plus ouvert.
Je te laisse tâter ce béton mais prévois un air bag hein ;)
Les commentaires sont fermés.