L'écart - Amy Liptrot
30/10/2018
A l'extrémité Nord de l’Écosse, il est une terre battue par les vents, l'Archipel des Orcades. Des îles faites pour les pêcheurs ou les fermiers. Un coin de paradis pour les touristes où Elle n'envisage pas de rester. Elle, ce qu'elle veut, c'est la foule, rencontrer des gens, la vie, une autre vie que ce que cette terre a à lui offrir.
Alors Elle part, Elle s'installe à Londres. La vie, les premiers temps, paraît si belle, si folle avec ces soirées arrosées. Les rencontres s'enchaînent, les colocs, les boulots aussi. Elle se sent vivante, jeune, libre, heureuse et amoureuse.
Les soirées arrosées deviennent des journées arrosées et l'alcool plaisir se fait alcool besoin. Addiction. Elle sombre. L'alcool est sa prison.
Londres est un échec. Pour continuer à vivre, il faut rentrer.
L'autrice livre dans ce premier roman un témoignage fort sur l'alcoolisme et la reconstruction.
Elle ne nous cache rien du quotidien de sa narratrice qui se perd dans la bouteille : la dépendance, la déchéance, la honte et l'isolement que l'alcoolisme provoque. Du risque de mort qui lui seul, à un instant T provoquera un électrochoc, un réflexe de survie.
Elle parle du temps des AA, de la lutte contre soi-même et l'addiction. Elle parle du temps de la reconstruction physique et psychologique.
Elle parle du temps qui vient où il n'y a plus d'autre choix que de retourner là où la tentation sera moins prégnante, où il y aura d'abord un travail "abrutissant" de fatigue, un dur labeur, une vie réglée comme une horloge pour ne pas penser au verre d'alcool qui l'appelle, là quelque part dans un coin de sa tête. Elle parle de la peur de combler le manque par d'autres addictions, des passions dans lesquelles elle se jette à fond.
Elle parle alors de son passé, de ses parents, de la maladie mentale du père dont elle a peut-être hérité quelque chose, une fragilité psychologique. Elle s'interroge sur cette part de responsabilité incombant au passé, à l'enfance sur son alcoolisme.
Enfin, elle parle de tous ces jours sans, sans l'alcool, sans le manque, de ces jours et ces nuits qui se remplissent d'instants en communion avec la nature des Orcades, une nature qui la rend plus forte, plus vivante que jamais.
De la chute à la renaissance, le lecteur chemine étroitement aux côtés de la narratrice, forcé qu'il est d'emprunter avec elle le chemin d'une introspection sans concession. Une introspection où les tempêtes intérieures se mêlent aux tempêtes de la terre des Orcades. Terre des origines où Elle cherche à se reconstruire.
Le témoignage se fait alors quasi documentaire naturaliste tant il y est question d'observation animalière, de recherche sur les espèces rares pour lesquels la narratrice se passionne. Seront aussi évoqués la nature sauvage et les paysages des Orcades, son climat, son ciel et dans une certaine mesure ses gens et leurs modes de vie.
C'est là où, malgré toute la beauté de ce qui est donné à voir, le temps m'a paru à quelques reprises un peu long et le rythme un peu trop lent.
Mais L'écart c'est avant tout l'histoire d'Amy Liptrot, un témoignage fort, sans doute cathartique. C'est aussi indubitablement un formidable hommage aux Orcades, terre de naissance et renaissance.
La plume est belle, sincère et poétique.
Il est clair que malgré une relative sensation de lenteur, certains passages laisseront en moi, par la puissance de ce qu'ils évoquent, une empreinte indélébile. A distance de ma lecture, je garde en moi le meilleur de ce roman, la beauté de cette nature orcadienne et la force d'Amy.
Et je me dis qu'il n'est pas possible de lire ce roman sans avoir envie d'aller là bas, d'aller s'installer sur cette terre si tourmentée par la mer et les vents, une terre pourtant tellement apte à procurer la paix.
"Dans certaines circonstances, on ne pense pas être capable d'avancer, mais on avance quand même. On ne fait "que conduire", histoire de s'occuper les mains et l'esprit en attendant que la vie reprenne son cours et que le temps fasse son œuvre..."
"Le seul fait d'être en mouvement me soulage et m'apaise"
Ma note : 15.5/20
Lecture faite dans le cadre du partenariat Matchs de la Rentrée Littéraire - Rakuten
9 commentaires
Une lecture qui me tente de plus en plus, malgré le sujet.
Si tu le sens bien, Alex, lance-toi. Pas grand chose sinon un peu de ton temps à y perdre.
J'aime beaucoup ta chronique, sobre, et à la fois enivrée par cette nature orcadienne ! Bravo :)
Merci Lupa. "Sobre" ahah, c'est le bon mot pour en partie résumer ce roman :p
Pour sûr cette nature me tournerait la tête par sa beauté.
Woaw, il a l'air très très fort ce livre et de t'avoir bien retournée. Merci pour ce partage d'expérience de lecture (je te dis ça car je suis à peu près sûre que je ne le lirai jamais, le temps toussa, mais du coup tu me le fais lire par procuration en partageant ton avis :p).
Il l'est par certains points oui. Notamment par ce qu'il montre de la déchéance induite par l'alcoolisme.
Je confirme qu'il y a des passages (et pas ceux auxquels on pense forcément) qui me laissent une belle empreinte dans le cœur et la tête.
(on ne peut pas tout lire!)
Merci d'être passée me lire. :)
Ça a l'air d'être un roman très intéressant en tout cas, malgré un thème difficile.
Plus c'est difficile plus l'expérience lecture peut être intéressante.
Si tant est qu'on ne bloque pas sur le thème en question (ou même d'autres aspects du livre).
Je suis de celleux qui pensent qu'il y a toujours quelque chose à tirer d'une lecture.
Encore une chronique de qualité mais cette fois, je ne suis pas tenté par cette lecture. Je ne sais pas pourquoi. Le côté très introspectif peut-être…
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