Ma reine - Jean-Baptiste Andrea
10/02/2019
Shell est le fils des pompistes d'une station service de Provence. Différent, il ne réalise pas toujours que ses bêtises peuvent représenter un danger. Lorsqu'il capte la conversation téléphonique de ses parents et de sa grande sœur, la perspective d'être interné lui donne le courage de partir. A la guerre pense-t-il. Pour prouver à tous qu'il est un homme, parce que les hommes, ça fait la guerre.
Une rencontre va interrompre son périple.
J'ai su dès les premières lignes que j'aimerais ce roman, cette histoire, ce gamin.
A travers le choix des mots, il y a eu assez pour me faire entendre un peu de son histoire, me faire comprendre qu'il y avait déjà un certain vécu. Quelques mots aussi pour me faire entendre sa profondeur.
J'ai aimé d'emblée.
Ensuite.
Ensuite, il y a eu le déroulé et j'ai oublié comment ça avait commencé. Jusqu'à la chute de cette belle et terrible histoire, je me suis laissée emportée par le tourbillon des pensées et sentiments de Shell, ce nigaud de 12 ans.
Si sur le plateau de la Vallée de l'Asse, en cet été 65, le gamin n'a pas trouvé la guerre qui devait faire de lui un homme, il a trouvé son capitaine.
La rencontre avec Viviane, fée mystérieuse et évanescente, est une fenêtre enchantée vers un monde où tout est devenu possible. Amitié, liberté, égalité. Shell, sous le regard de la fille reine n'est plus diminué, il est immense, grand. Un héros qui touche le ciel, les étoiles et l'âme du lecteur.
Voir le monde à travers ce garçon a été un voyage à la fois simple et complexe, innocent et spirituel, doux et violent.
L'ingénuité, la naïveté, l'innocence côtoient la profondeur, la clairvoyance, la finesse. Et, si souvent j'ai souri et l'ai trouvé drôle, j'ai aussi été touchée par sa sensibilité, ses peurs, par sa difficulté à verbaliser et rendre compte de la profondeur de ses pensées, par sa culpabilité à être ce qu'il est.
Entre les lignes, le lecteur comprendra que Viviane n'échappe pas non plus à une forme de violence dans son quotidien. Et que les moments d'évasion avec Shell, s'ils représentent une escapade bienvenue, ne sont pas que jeux innocents mais un moyen de reprendre le contrôle et tester les limites de son propre pouvoir.
N'allez donc pas croire que Ma reine n'est qu'un doux conte imaginaire, la cruauté du monde, sa réalité abjecte, ne manquera pas de rattraper le lecteur à maintes reprises.
Sont donc évoqués le harcèlement, le rejet, l'isolement, la maltraitance des hommes et de la société envers les personnes différentes et les enfants.
Il n'y a pas de hasard à ce que ces deux-là se soient trouvés, que cette plaine ensoleillée et sauvage soit devenue le terrain d'enjeux plus importants qu'une folle aventure estivale.
Ce n'est pas non plus un hasard, si l'autre personnage de cette histoire, rencontré par Shell soit un être tout aussi esseulé que lui, aussi rejeté que lui.
Jean-Baptiste Andrea aura eu l'intelligence de ne pas en faire un ogre des bois. Bien au contraire.
L'histoire de Ma reine, c'est l'histoire d'une différence abolie par une rencontre inattendue et fulgurante. C'est l'histoire d'une amitié, d'un coup de foudre. C'est aussi l'histoire d'une libération le temps d'une parenthèse estivale. C'est un répit, un souffle, une ultime bouffée d'air.
Un très sympathique premier roman, récompensé par le prix Femina 2017 des lycéens. Merci aux Éditions Folio de l'avoir proposé en lecture anticipée à sa sortie en poche. Jean-Baptiste Andrea est une plume à suivre. Sa manière ici de nous faire entrer dans la tête du jeune Shell et de nous montrer comment il appréhende le monde est juste, sensible, profonde et poétique.
"On a fait un jeu, c’est elle qui a eu l’idée, il fallait trouver la coccinelle avec le plus de points. Au début j’ai eu du mal, je trouvais beaucoup de points mais il n’y avait pas de coccinelle autour, et Viviane m’a appris comment chercher : d’abord la coccinelle, bien rouge et bien brillante, et seulement après les points. Quand elle expliquait quelque chose, ça paraissait beaucoup plus simple. "
"C'était le noir des hauts plateaux, tellement profond que rien n'existait entre les éclairs, rien d'autre que nous deux. Et même nous deux dans une telle nuit, c'était facile de croire qu'on n'était pas vraiment là, qu'on s'inventait l'un l'autre pour être heureux."
"Il n'y avait rien de meilleur que le goût du chocolat à la bougie fondue, c'était ça le goût d'un anniversaire. Sinon c'était juste du chocolat normal et on pouvait en avoir toute l'année."
"Il faisait chaud. Ici dans la vallée l'été n'avait pas l'air de savoir qu'il allait bientôt devoir s'en aller. Personne ne lui avait rien dit et il s'était installé confortablement, un peu comme moi, sans penser très loin."
20 commentaires
Dès les premières lignes je me suis dit que ça n'allait pas être drôle.
Sans doute trop dur pour moi, j'ai du mal à me frotter à la réalité.
Ben en fait, ce livre est tout sauf noir, même si...
Shell est vraiment un personnage rayonnant, malgré tout. Aller à sa rencontre, dans cette histoire, c'était vraiment chouette. C'est, je dirais, un personnage qu'on n'oublie pas.
Ce roman pourrait passer pour un conte, il en a quelques clés.
Et nous avons toustes nos écueils en lecture, je comprends que tu n'aies pas eu envie d'aller plus loin. Quand on ne le sent pas, on ne le sent pas... (j'ose pas imaginer comment tu t'es sentie en lisant Ayerdhal du coup) :)
Une lecture qui m'a laissé une impression de trop peu.
Je trouve ça triste.
Trop peu... trop peu de quoi?
À part me dire que j'aurais aimé rester plus longtemps avec les personnages, je n'ai pas eu le sentiment de "trop peu".
Je me dis que lorsqu'on a ce sentiment, c'est que peut-être, on a juste du mal à accepter de ne pas toujours tout savoir sur tout. Perso, j'accepte de ne pas en avoir plus lorsqu'il y a suffisamment matière à me satisfaire par ailleurs.
Donc "trop peu" sur quoi, sur qui? J'ai bien une idée par rapport au personnage de Viviane par ex. A son sujet, on devine entre les lignes plus qu'on ne sait...
Je comprends que ça puisse frustrer et laisser un goût de trop peu. Mais pour moi, c'est se focaliser sur un aspect minime qui, là ou pas, n'enlève rien à l'histoire.
Bref ;) si tu l'as chroniqué je passerai lire ton avis.
Ce roman, je l'ai noté, dénoté, renoté... j'ai peur de ce type de voix en littérature, en fait. Plus ça va, plus il me tente.
J'aime bien comprendre, explique moi cette peur. En quel sens crains tu cette voix?
Moi je te dirais bien, laisse toi tenter ;)
Moi aussi, j'ai su dès tes premières lignes... que j'aimerais le lire !
Ton billet rayonne *_* J'ai envie d'entrer dans la lumière poétique de cette rencontre. Je suis sûre d'y puiser des émotions, et c'est bien cela que nous recherchons avant tout dans les livres, n'est ce pas ?
Merci de m'avoir complètement conquise, une fois encore :)
:)
des émotions oui et des pensées, plein de pensées.
Je te remercie de t'être laissée convaincre, ça fait plaisir :)
Shell, comme les stations essence ? J'aurais du mal à voir ça comme une coïncidence vu l'endroit où il grandit, ce pauvre gosse.
Il ne me tente pas plus que ça mais ta chronique est très belle.
Shell comme les-dites stations et le blouson dont son père l'a récompensé un jour :)
On ne peut pas être tenté tout le temps hein. Je te remercie du compliment mais surtout de m'avoir lu jusqu'au bout :)
La rencontre que tu décris intrigue par son étrangeté. Très beau billet, captivant :)
C'est bien pour cela que je me suis laissée tenter, intriguée que j'étais par le rôle de chacun dans cette histoire.
Te laisserais tu tenter par un tel roman? Loin de la Sf? :)
Merci! Ça fait d'autant plaisir que j'ai mis des heures à aligner ces mots et en n'étant que peu convaincue du résultat... Donc merci :)
Je partage ton avis, j'ai aimé cette voix mais à la différence de toi, j'ai été méfiant jusqu'à la fin. Finalement, il m'a plu ce roman.
Cependant, je ne comprends pas pourquoi tout le monde visualise un gamin (la bande annonce folio met en scène un gosse) alors qu'il me semble que Shell doit avoir entre 17 et 20 ans quand on a passé son enfance et qu'il rencontre sa reine.
Hum, il me semble me souvenir qu'il est clairement écrit que Shell a 12 ans. Je ne peux pas rechercher la page car j'ai prêté le roman à une amie.
À aucun moment je n'ai eu d'ailleurs le sentiment qu'il avait plus que ça. Pour moi c'est vraiment l'histoire de 2 pré-ados sauf que Shell a lui l'âge mental d'un enfant.
Quand je récupererai le roman, je revérifierai.
Du coup, le sentiment de lecture n'est pas le même quand tu penses avoir affaire à un mec quasi adulte plutôt qu'à un gosse. En tout cas, ça changerait quelque peu ma perception. :)
J'ai lu dans une chronique que la personne désignait Shell comme un adolescent. J'ai presque envie d'envoyer un message à l'auteur.
A 12 ans, aujourd'hui un gamin est considéré comme un ado (pré-ado), en cela il n'y a pas d'erreur. :)
Belle chronique ! C'est intéressant mais pas sûre que ça me tente.
Merci!
Quant au fait que tu ne sois pas plus tentée que ça, pas bien grave (au moins tu en auras entendu parler ^^ )
Jolie chronique!
Merci Piplo :)
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