Une fille, qui danse - Julian Barnes
20/09/2013
La soixantaine, Tony Webster revient sur quelques moments clés de son existence. L'homme est persuadé d'avoir bien vécu, d'avoir traversé l'existence de la meilleure manière qui soit, sans heurts. Sans pertes, ni fracas. Jusqu'à ce qu'une lettre notariale arrive et vienne remettre en question la justesse de souvenirs dont il reste l'unique témoin.
2 mois après cette lecture passionnante, je tente à nouveau d'extraire de mon esprit, les mots qui me permettraient de vous donner avec justesse mon ressenti, voire vous donner l'envie de lire ce livre.
De la même manière que notre narrateur s'interroge sur ce qui lui reste en mémoire de son passé et donc de l'authenticité de ses souvenirs dont il est le seul témoin, je suis là moi aussi à m'interroger sur le(s) impression(s) qu'il me reste en mémoire de ce roman. Alors oui, même si le temps a passé, j'ai la certitude de l'avoir aimé. Ce n'est pas une impression diffuse qui nécessiterait un témoin pour vous en prouver la chose, non... mais j'aimerais trouver les mots pour en faire la démonstration.
Je me souviens très bien du contenu et de ce qui m'a plu dans Une fille, qui danse. Alors pourquoi ai-je tant de mal à parler de ce roman? C'est agaçant... Est-ce parce que je ne cesse de m'interroger sur la forme, de me demander si Barnes a écrit-là un roman ou s'il ne s'agit pas plutôt d'un essai romancé ayant pour thème les imperfections de la mémoire. Vous ne pouvez et je ne peux moi-même que me fier à ce qu'il me reste aujourd'hui des impressions de cette lecture et leur être fidèle. Pour reprendre les mots de l'auteur, "c'est le mieux que je puisse faire."
Le roman qui se décompose en deux parties met en avant les souvenirs de Tony Webster et ses nombreuses interrogations/réflexions sur la mémoire, la sienne en particulier. Si la première partie fait la part belle à certains de ses souvenirs de jeunesse comme l'arrivée d'Adrian Finn au lycée - un garçon particulièrement intelligent, admirable et admiré dont l'amitié lui fut précieuse jusqu'à ce que...- puis à cette relation de fac entretenue avec Veronica Ford - une jeune fille qui a eu le don de le faire tourner en bourrique ; la seconde partie, elle, voit notre Tony Webster se démener corps et âme pour obtenir le journal intime d'Adrian Finn dont il a hérité avec surprise suite au décès de la mère de Veronica. Pas facile quand ce dernier est en possession d'une femme qu'il a rayé de sa vie 40 ans plus tôt...
J'aime être emportée par l'histoire d'un roman, m'évader. Mais je crois que j'aime tout autant quand un auteur me pousse à la réflexion, m'embarque avec lui dans une espèce d'introspection. Parce qu'au final, cette analyse sur la véracité des souvenirs, sur la question de la corroboration et d'autres choses encore qui court tout le roman et qui turlupine Tony, elle peut tous nous interpeller. En tout cas, moi ça m'a interpellée et troublée. Ça m'a parlé.
[Tout à l'heure (c'est dire comme le contenu de ce roman me poursuit encore 2 mois après lecture), je repensais à certains jugements que j'ai pu porter plus jeune sur ce que je croyais être de la falsification de souvenirs ("haaaaaaan mais tu mens! C'est pas comme ça que ça s'est passé!!!"), un jugement d'enfant par trop rapide parce que, maintenant, à la lumière de ce roman (et d'autres choses comme un peu plus de maturité peut-être?), je comprends que la mémoire que chacun a de ce qui est advenu, finit indéniablement par être remodelée et rendue de manière assez infidèle... Parce que la mémoire est somme toute subjective et faillible.]
Y a juste un truc qui m'agace encore maintenant par rapport à ce roman et le rend obsédant. J'ai le sentiment que quelque chose continu de m'échapper, que la vraie histoire sous-jacente à celle de Tony (celle d'Adrian et Veronica) reste totalement insaisissable. Que les fragments disséminés aux 4 coins du livre de manière énigmatique ne me permettent absolument pas d'en saisir tous les contours. Et ça, c'est juste chhhh..... :p
Il est aussi question de remords, de responsabilité, de ce qui est fait/dit/écrit à un instant T et des conséquences ultérieures (le fameux "effet papillon"), d'existences. Une fille, qui danse est un roman profond, passionnant, intelligent.
Julian Barnes est un auteur à l'écriture pertinente, qui sait creuser les tréfonds de l'âme et de l'esprit humains. J'aurai plaisir à le retrouver dans un autre de ses romans.
Je remercie évidemment mon amie blogueuse Soundandfury d'avoir eu l'ingénieuse idée de m'offrir ce livre après en avoir entendu le plus grand bien chez Ruquier!
Quelques extraits :
"A vrai dire, toute cette affaire d'attribuer une responsabilité n'est-elle pas une sorte d'échappatoire? Nous voulons incriminer un individu pour que tous les autres soient disculpés..." (toute cette p.20 est superbe!)
"L'Histoire, ce ne sont pas les mensonges des vainqueurs, comme je l'ai trop facilement affirmé au vieux Joe Hunt autrefois ; je le sais maintenant. Ce sont plutôt les souvenirs des survivants, dont la plupart ne sont ni victorieux, ni vaincus."
"L'Histoire est cette conviction issue du point où les imperfections de la mémoire croisent les insuffisances de la documentation."
"Il me semble que cela peut-être une des différences entre la jeunesse et la vieillesse : quand on est jeune, on invente différents avenirs pour soi-même ; quand on est vieux, on invente différents passés pour les autres."
"Parfois je pense que le but de la vie est de nous réconcilier avec sa perte finale en nous décevant, en prouvant, si longtemps que cela prenne, qu'elle n'est pas tout ce qu'elle est réputée être."
"Quand on est jeune (quand je l'étais, en tout cas), on veut que ses émotions ressemblent à celles dont il est question dans les livres; on veut qu'elles bouleversent notre vie, créent et définissent une nouvelle réalité. Plus tard, je pense, on veut qu'elles fassent quelque chose de plus modéré, de plus pragmatique : on veut qu'elles soutiennent notre vie telle qu'elle est, et est devenue. On veut qu'elles nous disent que tout va bien."
"Il y a l'accumulation. Il y a la responsabilité. Et, au-delà, il y a un trouble. Il y a un grand trouble."
12 commentaires
Tout ce qui traite de la mémoire et des souvenirs m'intéresse et la façon dont tu en parle dans ton article renforce mon envie de découvrir cette fameuse fille qui danse !
Voilà un article qui donne envie, même si on sent que tu ne sais pas trop par où aborder ce roman =)
Pour commencer, j'aime ton titre!
Je suis contente que tu l'aies apprécié. Je crois que c'était chez Ruquier, oui. Ou alors c'était le Masque et la Plume? Va savoir, en tout cas c'était à la radio et compte tenu de la densité annoncée du livre, je me suis dit: "Tiens, ça, ça pourrait plaire à C'era". Je te l'emprunterai bientôt, si tu permets.
Je n'arrive pas, même après avoir lu ton article, à savoir de quoi il en retourne exactement, s'il s'agit simplement de souvenirs ou s'il y a une trame. C'est très mystérieux et très attirant. Comme Ingrid, je trouve le thème de la mémoire passionnant. C'est évident, nous sommes acteurs de la mémoire de notre passé. Sans même le vouloir, nous modifions des choses. C'est un peu effrayant, d'ailleurs.
Je me demande comment c'est abordé, comment c'est rendu...
Bel article, qui signe je l'espère ton retour régulier sur le blog!
Comme Sound, j'ai du mal à saisir de quoi il retourne exactement... mais je reste perplexe devant le mystère lié à l'histoire de fond, entre Adrian et Veronica. J'ai l'impression que c'est un peu décousu, et que l'auteur rend impossible l'appropriation de cette trame... Je passe ! ;)
Une lecture pas facile. Je n'ai apprécié ce livre qu'une fois refermé.
Tout cela m'a l'air passionnant ! Je suis totalement passée à côté de ce titre, je n'ai ni entendu parler du livre ni de l'auteur ...
Heureusement que tu es là !
Je suppose que c'est ce "fameux livre" qui te posait un problème d'écriture pour ta chronique. Sache que sans en dire beaucoup, tu nous mets la puce à l'oreille ou l'eau à la bouche comme on veut... Son style m'intrigue maintenant, alors je vais sans doute sortir de ma pal "Arthur et Georges" de ce monsieur que j'ai acheté en brocante il y a quelques temps... on m'en a dit beaucoup de bien !
Oui, je ne savais par quel bout prendre mes idées et réussir à rendre correctement tout le bien que j'ai pensé de ce livre. Ce n'est pas comme commenté "un thriller, un policier ou autre". Si le livre que tu as dans ta pal de cet auteur est à la hauteur, n'hésite pas à m'en reparler! Je suis preneuse d'avis :)
@Ingrid : c'est un thème super intéressant et voilà je vais encore le dire, j'ai particulièrement aimé cette réflexion induite par cette plongée dans la mémoire de Tony... ça donne un texte riche et passionnant à mon avis.
@DoH : Ben c'est une lecture assez intense par la réflexion qu'elle amène et j'ai vraiment laissé beaucoup de temps passer en plus. J'avoue que ça n'a pas été facile de mettre par écrit mon ressenti mais en même temps, ce n'est pas selon moi un roman "habituel".
@Sound : merci pour le titre! J'y apporte toujours un soin particulier et on m'en parle rarement alors j'apprécie d'autant plus quand on le relève :)
Pour être dense, oui ça l'était, intense et passionnant, comme j'aime... Je te le prêterai of course!
Pour le contenu, il y a une trame, un passé en partie commun à nos personnages sur lequel s'appuie le narrateur. Et d'autres évènements ont suivi avec des conséquences lourdes dont il se sent en partie "responsable" mais dont je ne peux rien dire. Ces évènements, il ne peut à la lumière de ce dont il a eu écho ou qu'il connaissait des personnes en question, qu'essayer de les reconstituer et comprendre ce qui s'est passé. Et tout cette histoire dont nous lecteurs n'avons que des fragments suscite une intense réflexion sur la mémoire, la véracité des souvenirs, la fidélité aux faits, l'absence de corroboration, etc... Et le lecteur essaie tout autant lui aussi d'accéder à l'histoire d'Adrian, de Véronica et d'autres...
C'était dense et extrêmement intéressant et ça m'a permis de vraiment réfléchir à la question moi-même. J'ai adoré ça!
Pour le blog... motivation, temps et régularité...
@Sol' : ça n'est pas décousu non non. Que nous soyons nous lecteurs contraints de mettre bout à bout les éléments de l'histoire Tony, Adrian, Veronica, etc... à travers des souvenirs "enfouis" n'empêche pas l'appropriation, je ne dirais pas ça. Cela nécessite un effort de reconstitution, tout ne tombe pas tout cuit dans la bouche du lecteur, c'est intrigant, agaçant par certains côtés mais ça fait aussi l'intérêt... Récemment, en lisant d'autres discussions sur ce roman, j'ai mis le doigt sur ce qui m'avait échappée. Pourtant, tout était là, mais pour certaines raisons je n'avais pas fait toutes les connections. C'est un livre entêtant, qui suscite beaucoup d'interrogations. Vraiment riche.
@Alex : je suis d'accord, il n'est pas facile. Peut-être pas accessible à tous, c'est le type même de lecture qui peut désarçonner et/ou ennuyer parce qu'on n'a pas une trame courante avec une histoire type. Ici on s'appuie sur une histoire qui est là en fond, qu'on devine mais qui n'est pas l'Histoire du roman. Elle sert de base à toute cette intense cogitation, introspection, méditation dans laquelle notre narrateur se trouve soudain plongé.
Qu'est-ce qui te l'a fait apprécier une fois refermé alors? (je pose la question alors que je sais que tu ne reviens jamais pour répondre... ^^)
@Stéphanie : Oui 3X extrêmement passionnant. Si Sound n'en avait entendu parler à la radio et ne me l'avait offert, il y aurait de grande chance que je sois passée moi aussi à côté. Encore une fois, ce n'est pas un roman qui doit attirer les foules. Mais, je suis contente d'avoir découvert cet auteur, il est intéressant. C'est le genre de livre que je mets dans la catégorie "intelligent", "pour réfléchir" et surtout pas ennuyeux (mais pour ça, peut-être qu'il faut être touché par le sujet).
Donc merci à Sound d'abord parce que sans elle, je serais passée à côté d'un bijou ^^
et bien voilà je viens de finir ce livre et comment dire...je suis troublée par le dénouement évidement mais également charmée par le texte qui donne une sacrée réflexion dis donc sur la mémoire et le souvenir.
Et effectivement tu t'en tires haut la main. Totalement d'accord avec toi sur la relation Adrian & Véronica mais je me demande si elle a vraiment duré longtemps cette relation. Et surtout comment la mère de Véronica est intervenue là-dedans. J'ai l'impression que j'aurai du le comprendre avec la scène de Tony dans la cuisine et de cette poêle dans l'évier. Ou alors de l'argent qu'elle laisse dans son testament. Mais non. C'est frustrant!! J'aime bien quand l'auteur laisse une part d'imagination au lecteur mais là c'est beaucoup... En tout cas belle chronique Miss.
Stéph, ce dénouement comme l'ensemble du roman donne à réfléchir. Je suis contente que tu aies aimé la plume de l'auteur.
Félina, cette relation entre Adrian et Véronica, qu'on reconstitue "péniblement" par manque d'informations, c'est une force du roman. Barnes fait appel à l'imagination du lecteur pour la lire. Je crois que quelque part j'ai été frustrée de ne pas tout savoir de ce qui s'est passé mais, en même temps, est-ce que ça ne lui aurait pas ôté une part de son intérêt?
Est-ce à toi que je disais que j'aurais adoré échanger tout de suite après ma lecture autour de toutes ces interrogations, ces pans d'histoires dissimulés? Confronter mon interprétation de telle ou telle scène comme tu le dis ici. Que penser de l'échange entre Tony et la mère de Véronica? Que penser de la méprise de Tony à la fin? Pourquoi met-il tant de temps à voir la vérité? etc etc...
Merci pour l'échange :)
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