Les neiges bleues - Piotr Bednarski
02/11/2013
Les Hommes sont givrés!
Petia, 8 ans, est un enfant polonais exilé en URSS, il est avec sa mère assigné à résidence dans un de ces camps de travail la mort montés en Sibérie sous le régime répressif stalinien. Là, l'amitié, l'amour côtoient au quotidien la misère, la famine, les trahisons et la mort incarnée par les hommes du NKVD qui frappent selon leur bon vouloir. L'enfant armé de l'amour de sa mère saura tirer partie de la beauté de cette dernière et de la faiblesse des hommes pour combattre, vivre et ne pas se laisser avilir.
Dans ce récit autobiographique décomposé en petites histoires, Piotr Bednarski nous donne à voir le quotidien de ces gens - femmes, enfants, invalides, dissidents avérés ou supposés du régime stalinien - enfermés dans les camps du Goulag. Alors que la guerre fait rage en Europe, loin des charniers, des bombes c'est à un autre combat que cette population d'exilés doit faire face : les privations, le froid et la répression ; toutes pouvant conduire à une mort soudaine et certaine.
Mais pas de pathos dans ce récit. S'il peut s'avérer triste et dramatique il n'en est pas moins plein de vie et d'espoirs. Le jeune Petia ne se laisse jamais abattre. Il a pour lui c'est vrai malgré tout l'insouciance de l'enfance, une aptitude à percer le cœur des hommes (ceux qui tournent autour de sa mère notamment) et une soif de vie phénoménale.
Il ne faut pas se tromper, ce qui nous est raconté à travers le quotidien de cet enfant, celui de sa mère et des autres prisonniers de ce camp n'a rien de joyeux et il faut le caractère "bienheureux" de Petia pour rendre tout ça comestible et atténuer l'horreur de ce témoignage. C'est révoltant de voir jusqu'où peut conduire la bêtise d'un homme et sa soif de domination, contrôle. On trouve beaucoup de romans, de témoignages sur les camps de concentration, nettement moins sur ceux de l'ex-URSS et sur ce qu'ont vécu ces milliers de personnes enfermées dans les camps du Goulag. C'est une chance et une richesse que de lire un texte comme celui qui nous est offert par Piotr Bednarski, même s'il nous oblige à ouvrir les yeux encore une fois sur la noirceur humaine. Il permet de ne pas oublier, il permet le travail de mémoire. Parce qu'il ne faut pas oublier que le négationnisme ne s'est pas limité aux camps de concentration hitlériens, la France a longtemps considéré Staline comme le libérateur de l'Europe de l'Est et refusé de reconnaître la véracité des témoignages de ceux qui étaient sortis vivants des "goulags".
Le petit Petia a été porté par l'amour de sa mère, par ses rêves, par sa foi et l'amour des mots. Son amour de la vie lui a permis de se relever à chaque coups durs. Aussi petit était-il, ses sentiments étaient grands et c'est ce qui l'a conduit toujours à aller de l'avant. Ça et la chance sous les traits d'une femme qui, malgré son propre malheur, lui a offert la liberté.
Passages à partager :
"-Tu vas rigoler..., ajouta-t-il au bout d'un instant.
Voilà, je voudrais que tu me prêtes pour dix minutes ton tricot de marin. Je le mettrais, je resterais assis avec toi un peu et puis je te le rendrais.
Il y avait tant de souffrance dans la voix de Kolia et mon cœur fut si sensible à sa demande que je sentis des larmes dans mes yeux.|...]
-Bien, Kolia, lançai-je au bout d'un moment et j'enlevai le maillot. Et quand il l'eut enfilé, je lui tapai sur l'épaule, et puis j'ajoutai d'un ton rogue : Je te le donne pour toujours.
-Pourquoi tu en as un autre?
-Non, je n'en ai pas, répondis-je. Mais qu'il te porte chance.
Je remis ma veste et partis chez moi. Et, en marchant, je me sentis comme doit se sentir un chien qui, après une longue errance, retrouve enfin son maître."
"Je compris alors comme jamais jusque-là qu'une blessure de l'âme s'apaise difficilement, que le temps ne guérit pas toujours ces blessures-là, et aussi que nul n'a le droit d'oublier les besoins du cœur de son prochain."
"D'habitude, selon les enseignements de mamie Anastasia, les bourreaux et leurs auxiliaires ne se suicident pas. Ils se sentent innocents. Ne sont coupables que ceux qui tombent entre leurs mains.[...]
Et moi, je pensais avec une satisfaction méchante que Vadim Kirillovitch allait enfin connaître le goût du goulag, qu'il allait partager le sort de mon père et de tous ceux qu'il y avait envoyés.
Mais ce n'était qu'un rêve d'enfant. Une tombe ne peut se changer en camp, personne ne peut forcer un mort à chercher de l'or. La mort libère de ce monde. Même les bourreaux en sont libérés."
"Or n'est-ce pas justement quand la mort est sur le seuil, quand elle fait déjà son nid en nous, à l'intérieur, que le désir de vivre s'exalte et que l'on devient capable d'abattre des montagnes, et de ressusciter d'entre les morts?"
Merci à toi clédesol de ce choix de lecture pour le challenge Livradeux pour PALaddict6 :)
6 commentaires
Mais de rien, en effet on parle énormément des camps de concentration, et beaucoup moins des camps sibériens, la vie au Goulag, est bien souvent tout aussi horrible.
J'ai apprécié ce roman autobiographique, pour justement le travail de mémoire qu'il apporte.
Comme je te l'avais dit en commentaire à la suite de ton article, j'ai trouvé cette lecture très intéressante. Pas aussi bouleversante que je l'aurais pensé mais ça prend quand même aux tripes par moments (un des moments qui m'a le plus remuée c'est lorsqu'il perd son ami orphelin qui voulait à tout prix un père, j'ai trouvé ce passage tellement triste...).
Un très beau et fort témoignage c'est certain.
C'est un titre vers lequel je ne serais pas allée spontanément mais Clédesol et toi avez aiguisé ma curiosité ! J'ai bien envie de le découvrir ! Pfff, comme si je n'avais pas déjà assez de titres dans ma PAL ! ;)
C'est dingue! Tout ce que tu dis de ce livre je pourrais le copier pour celui que je viens de finir, Ce qu'ils n'ont pas pu nous prendre de Sepetys.
Sauf que j'ai l'impression qu'il y a davantage d'espoir dans le tien.
Tu as parfaitement raison, ça change de parler de l'URSS. Peut-être que si le tabou est plus fort, c'est parce que l'Allemagne d'aujourd'hui a changé davantage que la Russie.
Un titre à l'humour décalé.
@Ingrid : on est de vilaines tentatrices! mais c'est un plaisir de te renvoyer l'ascenseur de temps en temps ma belle ^^
@Sound : nos grands esprits se rencontrent parfois !!! (tu ne diras pas ça après mon avis sur Le chuchoteur autant que je la ramène maintenant!). Le Sepetys me tente énormément depuis que j'avais lu un bel avis chez "les lectures de Cécile" je crois.
Ce titre recèle beaucoup de noirceurs mais il est aussi animé de toute la vie que porte Petia en lui oui. La Russie a quand même pas mal évoluée mais il lui reste beaucoup à faire encore en matière de libertés individuelles. Je ne sais pas si c'est lié au pays lui-même plutôt qu'à ce que je disais sur l'image que la France et les autres pays avaient à l'époque de ce pays et le rejet des témoignages humains qui venaient dire "vous vous trompez, nos dirigeants sont des monstres et nous vivons des choses aussi monstrueuses que celles des juifs dans ce pays"... C'est une période qui m'intéresse énormément en tout cas.
@Alex : eh oui! c'est tout moi ça d'être "décalée" :p
Les commentaires sont fermés.