Les chambres inquiètes - Lisa Tuttle - Nouvelles choisies, présentées et traduites par Nathalie Serval
06/09/2020
14 nouvelles de Lisa Tuttle choisies par Nathalie Serval, parmi celles déjà traduites de l'autrice.
14 récits fantastiques qui d'un rien font naître l'angoisse.
Vous vous croyez à l'abri de votre maison, bien installés dans votre vie et soudain, tout bascule et vous plongez dans l'inconnu, terriblement angoissant, voire menaçant.
Les chambres inquiètes c'est ce lieu intime où l'étrange surgit, où naît la peur.
Franchissez la porte à vos risques et périls.
Une des premières réflexions qui m'est venue à la lecture de ce recueil, est que la maison est dans la plupart des nouvelles, un personnage à part entière. Un personnage qui, si à la base il est censé représenter un lieu d'accueil, un chez-soi, devient rapidement source d'inquiétude, angoisse. En tout cas, c'est une porte d'entrée vers l'étrange.
Comme dans Un nid d'insectes où, la maison délabrée de la vieille tante mourante est un lieu investi par un être qui, le comprend-t-on rapidement, n'a rien d'humain et prendra possession de sa nouvelle occupante.
Comme dans Sans regrets où, l'ancienne maison d'un couple maintenant séparé, porte en elle les fantômes d'une vie qui devait être et ne laissera plus s'échapper son habitante.
Comme dans L'autre chambre où, une pièce secrète est une porte vers un au-delà supposé salvateur mais dont le piège se referme sur soi.
Comme dans Le nid où, la maison rêvée, censée combler, abrite un grenier étrange, abimé, habité? En tout cas, un lieu qui accapare, dérobe et laisse l'autre esseulé.
Comme dans Les mains de Mr Elphinstone où, après une séance de spiritisme, une jeune fille impressionnable, et sans doute en mal d'attention, se retrouve avec un pouvoir identique à celui du spirite. Mais ce qui vaut à l'un la reconnaissance, lui vaut à elle isolement, honte et angoisse.
Et quand ce n'est pas dans son enceinte, c'est dans les proches abords du foyer que le fantastique surgit. Un fantastique qui par ailleurs, semble intimement lié aux désirs, besoins, regrets de la femme et/ou mère.
Comme dans La tombe de Jamie où, une mère fusionnelle se laisse vampiriser par la chose que son gamin a déterré du jardin. Et alors le vide immense et soudain laissé par l'enfant que cette créature étrange accaparait, vidait de sa substance se trouve à nouveau comblé. Et l'enfant oublié.
Comme dans Oiseaux de lune où, l'on ne sait si la mère esseulée rêve ces effrayants oiseaux de lune ou s'ils sont réels. Sentiments ambivalents de menace quand ils semblent vouloir emporter l'enfant et d'attirance, quand elle pourrait s'accrocher à eux et s'envoler vers cette Lune qui lui a volé son mari.
Comme dans L'autre mère où, l'inspiration se nourrit à la fois de l'étrange légende de la dame du lac et des aspirations de la mère. Est-ce l'ombre fantomatique de cette mère éplorée qui veut lui voler ses enfants ou bien enfouit en elle, le désir coupable de s'en débarrasser pour accoucher de son œuvre?
On ne peut pas lire Lisa Tuttle sans savoir que l'autrice, féministe, aborde dans ses nouvelles des préoccupations dites féminines. Elles sont donc mises en avant dans toute leur complexité et diversité, dans leur rapport à soi, l'homme, l'autre, la maternité, le couple, etc.
Comme dans Une amie en détresse où, il est encore une fois difficile de distinguer le réel de l'imaginé. Cette femme rencontrée dans l'aéroport qui correspond en tout point à l'amie imaginaire de mon enfance, l'ai-je à nouveau rêvée? Au détour de la conversation entre les deux femmes, une piste éclaire cette résurgence de l'amie imaginaire et de sa fonction primaire, rassurer, soutenir.
Comme dans En pièces détachées où, une jeune femme tente de refaire surface après une rupture soudaine en enchaînant des relations sans lendemain, insatisfaisantes, voire violentes. Des histoires qui étrangement lui laissent un bout de chacun de ces hommes. La part la plus belle, la plus marquante que son subconscient a aimée, désirée. Jusqu'à ce qu'elle choisisse, à son tour, en pleine conscience le dernier morceau de cet autre parfait pour elle.
Comme dans Propriété commune où, l'égo et l'égoïsme sont poussés à l'extrême dans cette histoire de séparation et de répartition des biens vivants. Dur récit que ce "Ce que je ne peux garder pour moi seul, ne sera pas tiens non plus". Absurde et révoltante histoire, qui pourtant fait écho à bien des faits divers.
Comme dans Vol pour Byzance où, une jeune autrice ayant fui sa ville natale grâce à un unique succès littéraire y revient invitée par des fans d'une Convention SF. Les déconvenues et vexations s'enchaînent, jusqu'à laisser l'ancienne Sheila de Byzance prendre possession du corps de la Sheila de Los Angeles. Écrire pour s'échapper est-ce à nouveau possible?
Quelques nouvelles abordent le thème de la frontière des genres.
Comme dans Lézard du désir où, il est question de passage et autre dimension, d'attraction et désir, de transition ou quelque chose comme ça, de mauvais traitements aussi. Une nouvelle où la connotation sexuelle du lézard ne peut échapper au lecteur, surtout quand ce lézard s'apparente à un attribut de pouvoir et domination de la femme.
Comme dans La plaie où, le genre n'est pas immuable et fluctue au gré de ses amours. Imaginer un monde où aimer un homme ou une femme du même sexe que soi, entraînerait de facto un changement inéluctable de genre. Point de vue d'autant plus intéressant à lire, qu'ici notre personnage masculin, bien que tombant amoureux de son jeune collègue, n'a guère envie de devenir une femme.
Ma découverte de Lisa Tuttle remonte à ma lecture du recueil de nouvelles Ainsi naissent les fantômes (traduit par Mélanie Fazi). J'avais été emportée par l'ambiance étrange, inquiétante et aussi interpellée par les thèmes féministes qui s'en dégageaient.
Aussi, quand j'ai vu que Les éditions Dystopia donnaient l'occasion pour leurs dix ans de recevoir Les chambres inquiètes, il m'était impossible de ne pas saisir cette opportunité de relire cette grande novelliste du genre fantastique.
Bien m'en a pris, car j'ai retrouvé le style ciselé de Lisa Tuttle, sa capacité à m'embarquer et me faire vivre les peurs et troubles de ses personnages. Je ne peux que saluer Nathalie Serval pour le travail de traduction accompli qui sert brillamment la plume de l'autrice.
On pourrait avoir le sentiment que parce que la majorité des personnages sont ici féminins, seules des femmes pourraient s'en trouver émues, et l'on se tromperait. Car quoi de plus universel que l'angoisse qui peut naître de nos frustrations, regrets, de certains faits, évènements de nos quotidiens.
C'est par nos sensibilités et peurs toutes diverses que ce recueil peut nous toucher avant toute chose.
Si le genre fantastique vous plait, je ne peux que vous recommander de lire Lisa Tuttle.
Compte pour le Challenge #DéfiCortex SFFF Takes over the World
2 - Amérique du Nord
12 commentaires
Ha trop bien que tu aies lu ce recueil. Je voudrais tellement, pas trouvé le temps.
Très bonne analyse des thématiques ^^
C'est une autrice dont j'apprécie vraiment l'écriture et le format court est un plus quand le temps manque.
Je te souhaite de trouver le temps de le lire et l'apprécier en prime.
(et MERCI!)
Joli billet. C'est toujours dur de chroniquer un recueil en citant toutes les nouvelles mais sans faire pour autant juste une liste, et tu l'as bien réussi. ^^
J'ai été, comme prévu, vacciné par ma lecture de "Ainsi naissent les fantômes" donc ce ne sera pas pour moi, mais je reconnais sans problème que l'autrice est très forte dans son genre.
Merci monsieur Baroona de cet appréciable retour :)
Vacciné pour quelles raisons? L'angoisse ou les thèmes? Si tu veux m'en dire plus, avec plaisir de lire ta réponse
Les deux ? Je ne suis pas du tout horrifique/malaisant donc forcément ça passe mal. Et les thématiques ne compensent pas, je dois avouer que la maternité, entre autres, ce n'est ni ce qui me parle le plus ni ce qui m'intéresse réellement, surtout de manière répétée. ^^'
Mais ce n'est pas un problème, ce n'est juste pas pour moi, ça me fait ça de moins à lire. =P
Je comprends et aucun souci hein, il y a des écrits qui nous correspondent plus que d'autres. Et puis voilà, déjà tu as fait l'effort de sortir de ta zone de confort :)
Lisa Tuttle
Shaya, je ne sais pas si ton com s'arrête à Lisa Tuttle (ça me surprendrait mais bon qui sait), en tout cas, maintenant je suis curieuse de savoir ce que tu voulais dire :p
Génial. Je dois tellement lire cette autrice et tu me donnes encore plus envie.
Merci Alys. L a n c e - t o i :p
Il est superbe ce recueil, je me demande si je ne l'aime pas plus que Ainsi naissent les fantômes. Je le trouve un peu moins angoissant. Très belle analyse en tout cas ^^
Il est différent mais on retrouve cette montée en puissance du fantastique et de son caractère parfois effrayant.
D'ailleurs, tu l'as chroniqué et il faudrait que je lise ton retour (si ce n'est pas déjà fait)
(et merci itou)
Les commentaires sont fermés.