Boréal - Sonja Delzongle
03/05/2019
Une équipe scientifique plus son cuisinier regroupés dans une base Arctica d'un inlandsis Groenlandais, à la frontière du Pôle Nord, fait une découverte terrible lors d'une expédition. Tous se posent la question de savoir ce qui a pu conduire à cette tragédie. Une tragédie qui laisse planer une menace. Une tragédie qui en amène d'autres.
Le chef de l'équipe décide de faire appel à Luv Svendsen, éminente spécialiste des disparitions de masse animalières. Une occasion pour l'activiste de fuir ses propres drames familiaux ou de fuir tout court, qui sait?
De l'autrice, j'ai lu Dust, un thriller qui m'a fait prendre conscience de la condition des albinos en Afrique. Scénario implacable, glaçant, hyper prenant.
Alors que je sortais pas tout à fait convaincue de Récidive (3ème et "dernier?" titre de la série Hanah Baxter), Boréal me donnait le sentiment dans ses premières pages de replonger dans la qualité de Dust. A savoir ce que pour moi l'autrice fait de mieux, dénoncer/alerter, tout en s'appuyant sur un scénario solide.
Ici, Sonja Delzongle, dénonce à travers son intrigue la catastrophe écologique qui frappe le Groenland, sans oublier celle humaine : des séismes et vêlages (phénomène glaciaire courant de production d'icebergs lors du détachement de masses de glace d'un glacier) en constante augmentation, aux ours polaires affamés (! Vidéo qui peut heurter : agonie symbole du changement climatique) et donc en voie d'extinction, jusqu'aux populations inuits et les terres les plus au nord du pays sacrifiées aux intérêts militaire (une base nucléaire dévoilée par la fonte des glaces) et géopolitique (l'Arctique et ses enjeux).
De ce thriller que les lecteurs classeront soit/et comme écologique, fantastique, psychologique, c'est l'alerte sur tous ces points que je veux retenir surtout. Parce que c'est important, avéré, que l'autrice a fait un travail de documentation phénoménale.
Pour ce qui est de l'intrigue (des intrigues d'ailleurs devrais-je dire) en elle-même, là mon sentiment est plus réservé. A regret car cela avait très bien commencé avec le fil narratif se rapportant à Luv Svendsen, suivi de celui tout aussi mystérieux et intrigant de l'équipe polaire.
J'ai suivi ces 2 intrigues avec intérêt jusqu'à ce que je me perde dans l'utilité de l'une par rapport à l'autre et que je trouve la première, au final, expédiée, manquant de sens (si ce n'est celui de planter le personnage de l'activiste) et peu approfondie.
Autre point d'achoppement pour moi, les similarités entre les ficelles narratives dont use l'autrice pour faire monter en pression son lecteur quant à l'intrigue sur l'inlandsis, et celles déjà très bien exploitées par Terror le thriller de Dan Simmons (nb : je n'ai pas lu le livre mais vu la série qui en est adaptée). A un certain point, s'en est devenu gênant et cela a fait capoter toute tension narrative à mon niveau. D'où un ressenti final moyen quant à l'arc narratif global de ce thriller.
(nb : celleux qui n'ont ni lu, ni vu Terror ne seront donc pas gênés par ce point que je soulève, celleux qui l'ont lu ou vu comprendront peut-être mes réserves).
Au-delà de ces points, j'ai tout de même apprécié que Sonja Delzongle exploite le côté mythologique, légendaire inuit pour faire glisser son roman du thriller vers un aspect plus fantastique. Qu'on apprécie ou pas la chose, qu'on y croit ou pas aussi, de mon côté je trouve toujours cela intéressant de nous inviter à découvrir ce qui appartient à la culture d'un peuple dont on se sert dans un récit (comme l'a si bien fait Dolores Redondo dans sa Trilogie du Bàztan).
D'autre part, l'aspect psychologique est plutôt bien exploité par l'autrice. Les relations entre les personnages, provenant de pays différents, de langues différentes, confinés dans un espace restreint perdu dans une terre immense et dangereuse, dans des conditions de vie extrêmes mettant en exergue la précarité de leur vie à chacun.e, confrontés à la peur de leur environnement, à celle plus insidieuse de l'autre, tout cela est parfaitement rendu. Les fragilités et forces de chacun.e se révèlent apportant un plus à l'intrigue.
Pour moi, vous l'aurez peut-être compris en lisant cet avis, le personnage le mieux exploité de ce thriller est assurément l'inlandsis groenlandais. Ce qui le constitue, ce qu'il s'y passe, ce qui y vit ou meurt, ce qui le menace.
Et si je devais recommander ce titre, ce serait pour lui d'abord et ensuite, pour la belle exploitation des comportements interhumains.
"Ces dernières années, l'accélération de la fonte de la calotte glaciaire a été spectaculaire. En juillet 2012, les données satellites ont enregistré un dégel de 97% de l'inlandsis!
Depuis, les grandes compagnies pétrolières comme EnCana, Cairn Energy, Exxon Mobil, Dong Energy se sont lancées dans des études sur l'exploitabilité de la couverture de glace dont l'épaisseur atteint les cent cinquante mètres.
Des exploitations sous licence fleurissent sur tout le contour de l'île.
Après 2009, et le référendum en faveur d'une autonomie élargie du Groenland, les attributions des licences d'exploitation dépendent des Groenlandais.
Des revenus qui pourraient signer la fin de la dépendance économique du pays envers le Danemark.
Mais toutes ces exploitations posent un problème environnemental majeur."
"Comme ses ancêtres et tous ceux de son village, San est façonné dans cette glace, modelé par ces vents, nourri de cette terre du Groenland, de sa rudesse inégalée, de son mode de vie sans concession. Une terre désormais menacée. Des animaux intoxiqués, des espèces bientôt à l’agonie. Des hommes coupés de leurs traditions et de tout ce qui constituait l’âme inuit. Peut-être la Terre est-elle à la veille d’un nouveau cycle, d’une nouvelle ère ? Sans connaissances scientifiques, sans autre enseignement que celui qu’il a reçu de ses aïeuls, en écoutant les informations ou en lisant le journal, Sangilak sent confusément que quelque chose se prépare. Quelque chose qui échappera à l’humanité. Un événement qu’elle ne contrôle plus."
"Que cherche l'homme là où tout, jusqu'à l'air qu'il respire, lui est hostile, si ce n'est à se vaincre soi-même ? Terrasser son plus grand ennemi, celui qui le paralyse, qui le fait souvent renoncer, qui le détourne de sa propre vérité, la peur. Au-delà des limites du monde, des siennes, il va chercher l’essentiel, le silence et la solitude, parfois jusqu'à la folie."
Merci aux Editons Folio de cette invitation à lire l'avant dernier thriller de Sonja Delzongle. Next Cataractes?
15 commentaires
Je pense qu'on a le même avis mais tu tournes ta chronique de manière plus positive. Et ça me rassures que tu sois réservé sur ce roman car quand beaucoup de monde le trouve bien, on a toujours un peu le doute d'être passé à côté.
On a le même avis sur ce qui nous a dérangés, oui. Et ce n'est pas que je tourne ma chronique de manière positive, c'est simplement que pour moi tout n'est pas à jeter et autant pointer aussi du doigt ce qui me paraît bon et intéressant dans ce livre. :)
Donc des réserves MAIS pas que ^^
Et si beaucoup l'ont aimé dans son entièreté, et pas toi, tu ne devrais jamais t'en sentir coupable. Un avis est PERSONNEL :)
Ça a l'air très intéressant ce bouquin. Il est sorti directement en poche ?
Je me suis noté Terror dans ma liste de séries à voir, elle est bien ? Je n'ai pas lu le livre.
Il l'est par la dénonciation sous-jacente.
Non il me semble que les livres de Sonja Delzongle sont d'abord édités chez Denoël en grand format. Et ensuite chez Folio, en tout cas pour ceux que j'ai dans ma bibli.
Terror veut jouer sur le côté horrifique mais de mon côté, je n'ai pas eu peur. C'est thriller, ça use les codes. Les personnages sont intéressants, la mécanique des liens interhumains m'a plu. En tout cas, j'ai regardé sans ennui et très curieuse de connaître la fin.
Je pense que le livre laisse plus de place à l'angoisse, plus d'inconnus, de tension certainement. Les films ont selon moi la fâcheuse tendance de guider un peu trop le spectateur, et d'être relativement prévisible. Ce qui désamorce la peur.
Ok merci ^^
J'avais trouvé un de ses roman inutilement violent, depuis, je n'en ai pas lu d'autres.
D'accord, mais lequel? ^^ Dust à mon sens (si jamais tu parles de celui-ci) ne l'est pas de manière inutile, vu qu'il décrit des faits avérés. Cette violence là existe malheureusement. Et la manière dont s'est amené dans le livre n'est pas gratuite. AMHA
En fait, je réfléchis... mais aucun ne m'a laissé ce sentiment de gratuité.
Coucou ma C'era, ce que je retiens de cette auteure c'est qu'elle m'a fait découvrir la vie ... euh plutôt la survie des albinos en Afrique avec Dust, je ne me doutais de rien de ce genre en tous les cas. Du coup j'ai la suite dans ma pal que je compte bien entreprendre bientôt. Boréal me tente aussi beaucoup ! Merci pour cette très bonne critique. Bisous
:)
ça fait plaisir de te revoir par chez moi ma Lili.
J'ai partagé la même découverte que toi avec Dust. Je te souhaite de passer de bons moments avec les titres suivants. Ils se lisent vite :)
Je suivrai avec intérêt tes avis.
bisou
Ça m'intéresse comme roman. Je note, en bonne fan de thriller !
Tiens, je n'ai pas fait gaffe que tu aimais aussi les thrillers...
Tu en as lu d'autres de Delzongle ou ce serait ton 1er?
Je n'ai pas ressenti les bémols dont tu parles, peut être car n'ayant pas lu Simmons. c'est marrant parce que c'est Dust que j'ai le moins aimé de ses romans (même si j'ai apprécié ce thriller)!
Hello Piplo et bienvenu ici
Je n'ai pas lu Simmons non plus, j'ai simplement vu l'adaptation de son roman. Et en lisant Boréal, je n'ai pas pu m'extraire des procédés déjà utilisés dans Terror.
En tout cas, merci de ton bref retour ici. Pour Dust, je peux comprendre, les avis étaient partagés, mais l'histoire empreinte d'une terrible réalité m'a percutée.
C'est sans doute un reliquat du choc ressenti lors de mon premier visionnage de "The Thing" à l'adolescence mais j'avoue que les thrillers sur fond d'expéditions scientifiques dans les régions polaires me plaisent bien généralement :D
Plus sérieusement, quand ça tourne mal, devient anxiogène, oppressant, et que l’âpreté du climat ajouté à quelques petites découvertes inquiétantes jouent sur les nerfs des protagonistes, je trouve ça intéressant psychologiquement parlant ^^
La menace pesant sur l'inlandsis groenlandais est également un atout à mes yeux, surtout aujourd'hui, avec le désastre écologique déjà bien amorcé ^^
Ce titre rejoint donc "Dust", et pour des raisons différentes, dans la longue liste de mes envies, j'peux pas faire autrement ;-)
Concernant Terror, j'ai trop aimé le roman pour qu'il ne souffre pas de la comparaison avec la série, alors wait and see ;-)
PS : J'étais en train de me dire que ça me fait un bien fou de revenir te lire, merci :)
Oh punaise The thing, ça remonte!
C'est une sacrée atmosphère qui se dégage des histoires en milieu polaire. On en sort transi de froid bien souvent.
Bon j'espère que les points positifs que j'ai pu dégager sauront te convaincre. Curieuse de savoir si toi qui as lu Terreur, tu percuteras sur les ressemblances.
(pour la série, pas grave ^^ )
(ps : imagine ma joie de retrouver tes bienveillants commentaires, alors merci à toi!)
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