La brodeuse de Winchester - Tracy Chevalier
13/03/2022
1932, Southampton, Violet Speedwell, suffoquée par une mère acariâtre, décide de prendre un nouveau départ à Winchester.
Lors d'un passage à la Cathédrale, elle tombe en admiration devant les coussins et agenouilloirs confectionnés par les brodeuses de Winchester. C'est décidé, pour la postérité, Violet en confectionnera un elle aussi. Et tant pis si elle n'y connaît rien.
La brodeuse de Winchester.
En lisant le titre, j'en vois froncer du nez, "pas pour moi ça", c'est un truc de filles et encore, celles qui pratiquent crochet, broderie ou autre.
Boring serait-on tenté de penser en imaginant un roman pleins de vieilles filles, le nez sur leurs broderies.
N'est-ce pas l'image qu'on s'en fait ou faisait? Ou la mienne simplement quand je pense broderies...
Mais bon les mentalités évoluent. Après tout, on a bien vu un champion de plongeon british (Tom Daley) manier les aiguilles à tricoter il n'y a pas si longtemps.
Bref...
Ceux qui ont déjà lu Tracy Chevalier savent que derrière ce "passe-temps" que va exercer Violet en dilettante (entendez par là, en amateur mais non moins sans sérieux), et que l'autrice nous dévoile, se dresse le portrait d'une femme, trentenaire et célibataire, dans son temps.
Un temps d'après-guerre, de deuil, de vache maigre et de tentative de (re)construction.
Sous des dehors de récit banal, se construisent des amitiés, se vivent des aventures, se jouent des drames, se peignent les mœurs d'une époque et les difficultés auxquelles une, voire des femmes, affrontent au jour le jour.
Violet a perdu son fiancé en 14-18, elle se voit catégorisée parmi les femmes excédentaires, celles qui ne trouveront peut-être pas à se caser, méjugée par sa mère, et qui, bien que travaillant, est perçue comme une future vieille fille dont il faudra assumer la charge.
Mais Violet n'est pas de celles qui se résignent à ce triste destin. Elle a la fierté des pauvres, celle qui leur donne la force de trouver le moyen de s'élever au-dessus d'un piètre quotidien et de l'embellir autant que possible de menus plaisirs, d'aventures et de désirs.
Tracy Chevalier dévoile alors une femme en capacité de s'affirmer par sa finesse d'esprit, sa persévérance et amabilité mais aussi féminine puisque apte à troubler et se faire désirer.
Sous couvert du portrait de Violet et des autres portraits féminins qui l'accompagnent, se profilent l'émancipation sexuelle et l'homosexualité féminine. Dissimulées évidemment. Il y est aussi fortement question de ce que la société attend d'une femme de l'époque, de conformismes et anticonformismes.
Enfin, le roman met en lumière la sororité.
Si La brodeuse de Winchester est un roman féminin (féministe?), il ne manque pas de figures masculines : fraternelle, menaçante, paternaliste mais aussi aimante et amante.
Chacune permettant de dévoiler un pan de cette société d'entre deux guerres, ses mœurs, et permettre à Violet de prendre conscience de soi et des autres, du monde dans lequel elle évolue et vers quoi il va.
Enfin, dans ce roman, il est aussi question d'un autre cercle, celui des sonneurs de cloche. Exclusif, rigide au possible, un tantinet misogyne. Pourtant intéressant. Et il n'y a qu'une autrice comme Tracy Chevalier pour réussir à vous rendre plaisant la lecture de ce savoir-faire si pointu. Qui eut cru que les cloches étaient si délicates à manier afin d'en sortir de quoi composer un jeu de sonorités digne d'un concerto.
Bref, merci à Tracy Chevalier pour son écriture si agréable à lire, pour ce qu'elle sait si bien faire :
Dresser des portraits féminins touchants et marquants.
Faire du récit banal d'un quotidien, celui d'une époque et un temps à garder en mémoire.
Dépeindre des mœurs controversés.
Rendre passionnants des métiers et savoir-faire que seuls les initiés goûtent habituellement.
"Tu n'auras jamais de mari avec tes genoux écorchés, tes cheveux en bataille et ta folie des livres."
"Mais il n'était pas facile de rencontrer des hommes, car il y en avait deux millions de moins que les femmes. Violet avait lu de nombreux articles sur ces "femmes excédentaires", comme on les dénommait, qui à la suite de la guerre ne trouvaient pas de mari et avaient peu de chance d'en trouver, et donc le célibat était considéré comme une tragédie, mais aussi une menace, dans une société conçue pour le mariage."
"Les hommes allaient et venaient en ce monde comme s'il leur appartenait."
"Une seule chose, Miss Speedwell, je dirai que l'idée vient de moi, si cela ne vous fait rien, ajouta-t-il en plissant le front. Je ne sais pas ce que penserait la direction si elle savait que c'est une femme qui a eu une idée si... progressiste."
"C'est maintenant que tout commence, se dit-elle. C'est maintenant que je commence."
Roman lu dans le cadre d'un partenariat avec les Éditions Folio
13 commentaires
Sans préjugé sur la broderie, j'avoue que le pitch m'a paru étonnant et m'a fait me demander comment on faisait un livre complet à partir de ça. Et en même temps... pourquoi pas. Tu m'as même convaincu que ça doit être bien... mais pas pour moi quand même, ça manque de plongeon. =P
C'est le talent que je reconnais à cette autrice, faire s'intéresser à des activités dont on peut totalement se désintéresser et s'en servir pour poser une histoire, l'histoire de personnage(s) dans un quotidien qui peut s'avérer prenant. Les choses de la vie, des croisements de vies et où cela peut nous porter.
Peut-être qu'un récit comme La dernière fugitive ou A l'orée du verger pourrait mieux t'intéresser...
Je n'ai pas été convaincue par cette lecture pour ma part. Un peu trop lent, trop d'hésitations de la part de Violet, même si le contexte et le sujet restent très intéressants à découvrir.
ouip, on en avait un peu discuté sur IG. Mais là où nos points de vue divergent, c'est justement sur Violet que tu as trouvé par trop hésitante. Dans le contexte de l'époque, j'ai trouvé au contraire qu'elle était plutôt entreprenante et réussissait pas mal à s'imposer :
face à sa mère, face à celle(s) du groupe des brodeuses qui tente de lui bloquer l'accès à son but, face à son employeur auprès de qui elle dicte au final une conduite et obtient ce qu'elle demande, face à la société aussi dans ce qu'elle entreprend seule.
Elle tergiverse surtout sur le plan émotionnel, c'est à la rigueur là où elle patine le plus, bien qu'au final, elle arrive à quelque chose.
Quant à la lenteur, je ne trouve pas que les récits de Tracy Chevalier se prêtent à un rythme qui soit plus soutenu.
Mais tout ça, ce sont des points de vue personnels hein. On adhère ou pas et peu importe, il en reste quelque chose :)
Il y a quelques chose qui me fait penser aux thématiques de Mes vrais enfants, sur la place des femmes dans l'après-guerre (bien que ce ne soit pas la même) et sur l'homosexualité (bien que ce ne soit pas non plus tout à fait la même période).
Je trouve que ça a l'air sympa. Je ne le lirai vraisemblablement pas, trop de livres qui attendent mais je trouve la proposition intéressante. J'aime assez bien les histoires de quotidiens banals pour lesquels on se prend de passion, avec des personnages attachants et qui sonnent vrais.
Le jour où je lirai Mes vrais enfants, je te dirai si j'y ai trouvé des similarités avec ce qu'écrit Tracy Chevalier. Ce qui est certain c'est que c'est une autrice qui dépeint très souvent des portraits de femmes qui sont dans leurs combats quotidiens plutôt badass, mais sans être des Mary Sue ^^
Tu as saisi le truc, un quotidien "banal" et un vécu qui rendent les personnages attachants. Cela me fait penser au film Belfast et ce qu'à réussi à faire Kenneth Brannagh.
Oui très juste et ce n'est pas un exercice facile.
Ça a l'air intéressant! J'ai lu la Jeune fille à la perle de cette autrice. Ce n'était pas fou, mais j'ai passé un moment agréable. Je m'étais notée de lire un autre de ses romans à l'occasion.
Pour moi ça l'est oui :)
Dans La jeune fille à la perle, j'ai aimé découvrir le savoir faire rattaché aux mélanges des couleurs, le rapport entre lui et elle. Y a rien de fou et renversant mais comme tu dis, c'est agréable et intéressant. Et des fois, je me dis qu'on recherche trop à être renversé.e par nos lectures et que juste apprécier, être intéressé, c'est déjà bien.
J'avais aimé les romans de Tracy Chevalier que j'ai lu, faudra que je retente un jour, celui-là ou un autre.
Y a du choix heureusement. Faire en fonction d'une époque pour trancher lequel?
Je suis assez heureuse de savoir que d'autres m'attendent dans ma bibli :)
Intéressant en tout cas, La jeune fille à la perle était un roman agréable aussi, donc, pourquoi pas un jour ou l'autre !
Mais en fait, je me rends compte que vous êtes quand même quelques-unes parmi les lectrices plutôt branchées SFFF ou polar, à avoir déjà lu Tracy Chevalier. Je trouve ça cool :p
Laisse toi porter par l'envie ou l'occasion quand elle sera là :)
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