27/11/2012
L'élégance du hérisson - Muriel Barbery
Regarde-moi, je suis bien plus que ce que tu crois...
"En pensant à ça, ce soir, le coeur et l'estomac en marmelade, je me dis que finalement, c'est peut-être ça la vie : beaucoup de désespoir mais aussi quelques moments de beauté où le temps n'est plus le même. C'est comme si les notes de musique faisaient un genre de parenthèse dans le temps, de suspension, un ailleurs ici même, un toujours dans le jamais.
Oui c'est ça, un toujours dans le jamais."
Renée et Paloma vivent toutes deux au 7 rue Grenelle. Mais tout les sépare, leur âge, leur situation, leurs origines sociales. Et pourtant sans même le savoir la concierge et la petite fille se rejoignent dans leurs réflexions sur le monde, sur les autres, sur la vacuité de l'être, sur l'être et le paraître, sur l'amour du Beau et du Vrai pourrait-on dire, sur cette critique de la suffisance dans laquelle se complaisent parents, voisins ou habitants de cet immeuble bourgeois. Ce qui les rassemble aussi c'est non pas tant le fait qu'elles aient une certaine estime d'elles-mêmes qui peut paraître pédante, mais voilà elles savent leur intelligence en comparaison d'autres, cette qualité qui certes les distingue mais les isole aussi des autres. Renée, 54 ans dissimule sa culture au fond de son cagibi de concierge. Paloma, 12 ans, gosse de riches aimerait disparaître pour de bon. On en est là jusqu'à ce qu'un nouvel habitant arrive dans l'immeuble.
L'élégance du hérisson c'est un va-et-vient entre les pensées de Renée et celles de Paloma, c'est la rencontre du lecteur avec ces deux personnalités à part mais entières. Une rencontre avec deux personnes qui au premier abord n'est pas sensée nous émouvoir plus que ça, une concierge mal lunée qui se fait fort de cacher son érudition d'auto-didacte, une ado mal dans sa peau et allergique à son milieu aspirant à mourir avant de se voir enfermée dans le bocal de la vie d'adulte. Puis quand d'un seul coup on plonge dans les méandres de leur esprit, au coeur de leur âme, de ce qu'elles ressentent, de leurs pensées qui sont autant de coups de couteau à leurs contemporains mais qui révèlent aussi leur intelligence, leur amour pour cet autre qui sait vous voir au-delà des apparences, leur amour pour les belles phrases et la langue, leur amour pour les gens vrais au-dela des chichis, du paraître et de l'hypocrisie bcbg.
Au-delà de notre rencontre avec les pensées de l'une et l'autre, il y a ces vraies rencontres vécues par nos narratrices et si enrichissantes, de beaux moments d'amitié. Et si on y regarde bien il y en a pas mal, autant que de passages devant la loge de Renée en fin de compte. Il y a celles que l'on voit tout de suite : Renée et Manuela (une "aristo de coeur). Celles que l'on sent venir Renée et Ozu (Mr je t'ai percé à jour), Paloma et Renée (toi et moi on s'est bien trouvé hein?), Paloma et Ozu (un ascenseur en rade ça fait parler). Et celles qui réservent des surprises : Renée et le fils du drogué (Jean? je n'ai plus le livre en main... une histoire de fleurs qui sauvent la vie), Renée et le toubib (je t'ai ouvert ma porte), Renée et le clochard (n'est pas pauvre qui veut), Renée et la jeune fille qui aime les animaux (qui aime les bêtes a un coeur pur), Renée et la camionette...(...) Autant d'échanges qui m'ont plu et qui m'ont poussée à poursuivre ce rendez-vous que je n'aurais pas voulu manquer. Parce qu'après tout qu'est-ce que lire si ce n'est aller à la rencontre de ces gens dont on nous conte une histoire, leur histoire. Qui n'a jamais rêvé de savoir ce qui se trame dans l'esprit de l'autre? Et bien Muriel Barbery, elle, elle nous fait entrer de plein pied dans ça : la pensée d'une dame d'un certain âge, dans celle d'une ado tout juste sortie de l'enfance, dans le coeur des uns et des autres. Bon qu'elle ait choisi de le faire par un langage soutenu, philosophique qui paraîtra à certains outrageusement pompeux, ne m'a pas foncièrement dérangé. J'avoue être restée hermétique à certains passages trop obscurs ou abstraits du livre mais avoir été sensible à la plume d'une telle (h)auteur(e).
La manière d'appréhender ce livre et son écriture est la même que celle d'appréhender la concierge ou l'ado. Ainsi, de la même manière qu'il faut aller au-delà de cette 1ère perception "hautaine" de nos personnages pour les aimer, il faut aller au-delà de cette 1ère couche suffisante pour apprécier la lecture du roman de Muriel Barbery.
Allez quelques extraits à partager pour le plaisir :
"Ce qu’il faut vivre avant de mourir, je le sais à présent. Voilà : je peux vous le dire. Ce qu’il faut vivre avant de mourir, c’est une pluie battante qui se transforme en lumière."
"J’ai donc pris ma décision. Je vais bientôt quitter l’enfance et malgré ma certitude que la vie est une farce, je ne crois pas que je pourrais résister jusqu’au bout. Au fond nous sommes programmés pour croire à ce qui n’existe pas, parce que nous sommes des êtres vivants qui ne voulons pas souffrir. Alors nous dépensons toutes nos forces à nous convaincre qu’il y a des choses qui en valent la peine et que c’est pour ça que la vie a un sens."
"Je me demande aussi avec appréhension ce qu'il adviendra lorsque la seule amie que j'aie jamais eue, la seule à tout savoir sans avoir jamais rien demandé, laissant derrière elle une femme méconnue de tous, l'ensevelira de cet abandon sous un linceul d'oubli."
"Ca fait un moment que j'ai aussi des soupçons à son propos. De loin, c'est bien une concierge. De près... eh bien de près...il y a quelque chose de bizarre. Colombe la déteste et pense que c'est un rebut de l'humanité. Pour Colombe, de toute façon, est un rebut de l'humanité quiconque ne correspond pas à sa norme culturelle, et la norme culturelle de Colombe, c'est le pouvoir social plus des chemisiers agnès b..
Mme Michel... Comment dire? Elle respire l'intelligence. Et pourtant, elle s'efforce, hein, ça se voit qu'elle fait tout son possible pour jouer à la concierge et pour paraître débile."
"Si on s'élevait dans la hiérarchie sociale en proportion de son incompétence, je vous garantis que le monde ne tournerait pas comme il tourne. Mais le problème n'est pas là. Ce que veut dire cette phrase, ce n'est pas que les incompétents ont une place au soleil, c'est que rien n'est plus dur et injuste que la réalité humaine : les hommes vivent dans un monde où ce sont les mots et non les actes qui ont du pouvoir, où la compétence ultime, c'est la maîtrise du langage."
Avant de commencer ma lecture je n'avais lu qu'une seule chronique de L'élégance du hérisson (avis enthousiaste qui m'avait convaincu de lire ce roman) et entendu un seul avis "mmmpf" (parlant non?)... Et finalement, j'ai apparemment eu au travers de ce court panel l'avis partagé qui se dégage dans la plupart des chroniques que j'ai dévorées après lecture. Comme vous le savez (ou pas... enfin maintenant oui) j'aime à me faire mon opinion alors, alors, alors...
- Points positifs : les personnages, la dose d'humour de ci de là, la dose de cynisme bien sentie, la tendresse de ces coeurs qui se reconnaissent, les réflexions et pensées globales qui se dégagent dans le texte, l'écriture qui mène à une certaine "élévation de la pensée", les réflexions et observations de Paloma (au moins elle je l'ai suivie sur toute la ligne et ça faisait du bien après le sens caché de certains passages du journal de Renée ^^), les références à la culture et nourriture japonaise (miam j'adore ça!).
- Points négatifs : un discours allant parfois du verbiage à l'abscons (moi aussi je m'y mets aux jolis mots compliqués na!), des discours sur l'Art qui m'ont paru par moment trop abstraits et qui m'ont un tantinet ennuyée ou fait paraître stupide (qui aime ça hein se rendre compte de ses limites? ^^), certaines envolées philosophiques de Renée traduites par des tournures de phrases trop alambiquées (Mme Barbery tout le monde ne pratique pas la haute-voltige de la pensée philosophique et votre roman m'a paru un brin "élitiste").
23:06 Publié dans Bang | Tags : l'élégance du hérisson, barbery, concierge hors du commun, journal d'une ado surdouée, qui s'y frotte s'y pique pas forcément, de belles rencontres | Lien permanent | Commentaires (13)