25/02/2013
Au pays des kangourous - Gilles Paris
Papa nous fait un coup de calgon!
Quand Simon, 9 ans, trouve son père Paul dans le lave-vaisselle, il se sent complètement démuni. Sa mère, si peu présente même quand elle est là, s'est encore absentée pour son travail au pays des kangourous. Il fait donc appel à sa grand mère, Lola, qui ne pourra que constater la gravité de l'état d'abattement de son fils. Simon, assiste alors, jour après jour, impuissant, à la descente aux enfers de son papa dont les yeux verts ont laissé place à un regard gris et vide, un regard dans lequel il ne trouve plus trace d'aucune émotion si ce n'est la tristesse. Petit à petit, Simon va livrer avec ses mots le désarroi dans lequel l'affliction de son père le plonge, la colère qu'il ressent par rapport à cette mère qui ne se décide pas à rentrer et dont il doute de l'amour. Il va enfin nous dire ses peurs, ses rêves dans lesquels il se réfugie et toutes ces questions qu'il ressasse en son for intérieur et qui trouveront réponses grâce à Lily, la petite fille aux yeux violets.
Gilles Paris comme dans Autobiographie d'une courgette, donne dans Au pays des kangourous la parole a un enfant pour parler d'un sujet grave, tabou paraît-il : la dépression jusqu'à l'internement.
Le lecteur pour peu qu'il se laisse emporter par les mots de l'enfant plonge autant que lui dans le désarroi de la situation. Il se sent comme Simon impuissant, triste, chamboulé par l'image de ce père qui, renfermé dans sa douleur, ne peut plus s'occuper de son petit garçon. Ce fils avec qui pourtant il entretenait jusque-là devine-t-on, au fur et à mesure que Simon parle de lui, une relation fusionnelle et privilégiée. Un père qui, surtout, jusque-là comblait par sa présence continue, ses câlins, son amour et autant de moments partagés l'absence d'une mère carriériste tombée amoureuse de ce pays où elle travaille. Une mère dont Simon nous fait comprendre encore une fois avec des mots sans demi-mesure, et bien après avoir compris la raison de son non retour, à quel point elle est passée à côté de son rôle de maman.
"-Elle m'aime aussi.
-Bien sûr, Simon, que ta maman t'aime, me dit Lola un peu gênée. Toutes les mamans aiment leurs enfants.
Comment dire à Lola que maman ne m'a jamais dit "je t'aime"?"
Le lecteur quant à lui interprètera à sa manière, plus ou moins sous l'influence des propos tenus par Simon, l'absence de cette femme auprès de son enfant à un moment aussi douloureux. Pendant toute la lecture, on se doute que le motif de la dépression du père a à voir avec l'absence de sa femme ; comme Simon on pressent qu'elle est responsable de ce qui arrive à Paul. Alors, évidemment on juge sur ce qui nous est dit d'elle à postériori. On s'insurge contre cette femme qui même lorsqu'elle était là auprès de son mari et de son enfant ne savait qu'exprimer des reproches pour l'un et une fausse attention pour l'autre. On juge facilement oui, parce qu'on se laisse toucher par ce gosse qui cherche des explications à l'absence de sa mère, qui cherche aussi des traces, des preuves d'amour dans les souvenirs qu'il a d'elle.
Étrange comme cette mère absente remplit presque chaque page du livre... On pourrait croire que sa non-présence physique l'occulterait complètement face à ce père en souffrance et, pourtant, j'ai trouvé que la manière dont Simon parle d'elle lui conférait presque plus d'importance que ceux qui sont là.
A part Paul, le père de Simon, d'autres visages sont là pour éclairer l'histoire par leur présence :
-Mamie Lola et ses amies "les sorcières". Adeptes de spiritisme, loufoques au possible, pleines de joie, d'entrain et de vie. On se demande parfois qui, entre elles et Simon, est l'enfant. J'ai souvent souri à l'évocation des moments que Simon passait avec cette joyeuse troupe. J'ai trouvé que les passages où elles apparaissaient, apportaient de bonnes touches de légèreté et d'humour, de quoi contrebalancer avec l'ambiance mélancolique dans laquelle nous entraînent les pensées de Simon.
-Lily, petite fille autiste que Simon va rencontrer à l'hôpital où son père se trouve interné. Personnage mystérieux dont on ne saurait vraiment dire si il appartient vraiment à la réalité ou si il n'est en définitif qu'un personnage issu de l'imagination du garçonnet pour l'aider à appréhender la maladie dont souffre son père ; une sorte de refuge.
Plusieurs choses m'ont fait douter de la véracité de sa réalité, elle m'apparaissait parfois comme immatérielle : apparition et disparition soudaines, elle porte le prénom que Simon aurait voulu donner à la petite soeur qu'il n'a pas eu, elle semble très au fait de ce dont souffre les autres patients et agit en tant qu'ange gardien auprès du père de Simon (qui dira lui-même avoir ressenti sa présence), et enfin, elle assure à Simon qu'il la retrouvera malgré le transfert de son père dans un nouvel établissement de soins... D'ailleurs même après avoir fermé le livre, je ne saurais dire si Lily était réelle ou non... Le doute subsiste (c'est un tantinet agaçant).
Je me suis aussi fait la réflexion qu'il y avait certaines similitudes entre Lily et Camille d'Autobiographie d'une courgette. De la même manière que Camille avec Courgette, la petite Lily va fasciner Simon et faire battre son coeur. De la même manière, elle ne passera pas par quatre chemins pour lui dire ce que tous taisent mais, elle sera aussi et surtout une présence tendre, rassurante et source d'espoir pour le petit garçon.
"Ton papa va s'en sortir.
-Comment tu sais ça, toi? Il a la maladie du sommeil, m'a expliqué ma grand-mère Lola.
-Ça s'appelle une dépression.
-Tu sais comment ça s'attrape?
-Ça ne s'attrape pas, Simon. Ça arrive et puis ça s'en va, pour la plupart du temps. Des fois, ça vient de l'enfance, des fois non. Ou de la drogue, ou de la mort d'un proche. Ou d'un grand ras-le-bol de tout."
Au pays des kangourous donne à lire un drame mais il n'est pas larmoyant pour autant. Il y a certes des passages difficiles mais j'ai trouvé qu'il fourmillait aussi de moments de bonne humeur. Les mots d'enfant sont parfois de vrais trésors :
"Des petits vagues fraîches nous remontent le long du corps. J'ai l'impression d'être caressé par des glaçons [...] Tant pis pour les glaçons et la peau chair de poule, comme dit maman. Je me demande pourquoi elle dit ça. Je n'ai jamais vu une poule se baigner."
Le sourire n'est pas si loin malgré la gravité des faits. Comme on dit "après l'orage, le ciel bleu" et, c'est exactement ça.
J'ai lu un avis où il était dit que tout cela était peu crédible, que la fin était alambiquée. Je ne suis pas d'accord avec ce jugement. Je trouve au contraire que Gilles Paris est extrêmement doué pour rendre la parole d'un enfant, pour rendre ses mots percutants, touchants, pour porter ses émotions, ses incompréhensions, ses espoirs. La révélation sur l'absence de la mère n'est pas là selon moi pour atténuer, comme à regret, l'image peu sympathique qui nous a été donnée d'elle depuis le début. D'ailleurs, les propos de Simon sur sa mère resteront les mêmes, il regrettera toujours cet amour qu'elle ne lui a pas manifesté et finira par conclure qu'"une maman ça ne sert à rien".
Je crois que Gilles Paris puisqu'il a donné la parole à un enfant savait pertinemment dès le début ce qu'il en était de l'absence de la mère, mais c'est Simon qui parle et l'enfant, lui, juge sur pièces et sur ce qu'il a entendu et vu : disputes entre ses parents, motifs de celles-ci. Il n'envisage pas autre chose parce qu'il n'en est pas encore capable. Je crois que ça il faut le comprendre aussi, comprendre qu'un cheminement doit se faire.
Cette histoire est pour moi d'autant plus percutante que bien que fictive, elle n'en est pas moins réaliste et le choix de la narrer par la voix de Simon ne la rend pas moins crédible. Il faut juste être apte à se mettre à la portée de ce dernier et être prêt à entendre le vide affectif dans lequel il se trouve soudainement plongé.
Morceaux choisis :
"Quand une grande personne décide de ne plus parler d'un souci, elle l'enterre si profond que personne n'ose proposer sa pelle."
"Les mots pour dire la magie et le mystère de la personne qu'on aime n'existent pas. En parler retire même un peu de magie et de mystère. Après, c'est quelqu'un comme tout le monde et c'est bien fait pour celle ou celui qui en a trop parlé."
"Elle s'est mariée très vite avec Edmond le boucher parce qu'elle avait un petit garçon dans le tiroir. Je n'ai pas osé demander à mamie pourquoi Violette avait couché son fils dans un tiroir. C'était peut-être trop petit chez Violette pour ajouter un lit."
01:26 Publié dans Bang | Tags : au pays des kangourous, gilles paris, dépression, internement, vide affectif, les dommages collatéraux d'un yaourt | Lien permanent | Commentaires (23)