13/12/2015
Otages intimes - Jeanne Benameur
Tout en retenue
Étienne, photographe de guerre, vient d'être libéré après un temps de captivité long mais indéterminé. Dans l'avion qui le ramène, il n'ose encore croire à la liberté. C'est auprès des siens, en terre natale qu'il va la ré-apprivoiser, se réapproprier les évènements passé mais aussi le présent et pourquoi pas envisager le futur.
Et puis il y a Irène la mère, Enzo et Jofranka les amis de toujours, témoins de ce retour compliqué, présents, soudés pour Étienne. Tous nous font entendre que l'on peut être otage de bien des manières.
En lisant les premières pages, j'ai eu peur. Peur de ne pas me faire à cette écriture particulière, à ce rythme. J'ai eu peur de l'ennui. Mais c'était sans compter le talent de Jeanne Benameur à rendre avec brio les sentiments, la psychologie de ses personnages, à trouver les mots justes, ceux qui touchent. A partir de là, ma lecture fut bouclée en quelques heures.
La pensée encore captive d’Étienne, son traumatisme sont si bien rendus que je me suis longtemps interrogée pendant ma lecture sur ce qui relevait de la fiction et du vécu dans ce roman. Comment un auteur qui n'a pas vécu une telle situation fait-il pour rendre aussi bien, de manière aussi authentique et crédible les sentiments d'une personne qui sort d'une telle épreuve et son impact sur les proches? Le travail de recherche, la lecture de témoignages, les échanges? Bref le résultat est là, les mots de Jeanne Benameur choisis avec soin ont porté, m'ont touchée.
OtageS intimeS. Dans les faits, Étienne est seul à avoir vécu l'enfermement pourtant dans l'esprit de ses proches d'autres formes de réclusions s'expriment. Remontent alors du plus profond de chacun sa part d'otage, de l'autre, des autres.
On écoute alors cette mère qui, après le départ du mari, souffre en silence de chaque départ du fils et voit l'histoire se répéter résignée.
On comprend la femme qui ne pouvait plus être celle qui restait à attendre, la vie suspendue.
On ressent la force du "fils de l'italien", l'ami silencieux, toute sa bienveillance.
On entend la voix qui s'élève de "la petite qui venait de loin", devenue avocate à La Haye et qui se bat pour faire entendre la voix des femmes victimes de guerre.
On comprend ce qui unit Étienne, Enzo et Jofranka, on comprend le besoin de se retrouver et de puiser en l'un et l'autre la force de repartir, continuer, différemment. L'harmonie de leur trio fait du bien, elle apaise.
Dans son roman, Jeanne Benameur nous livre plus que l'intime de ces personnages-là. Elle raconte aussi avec pudeur mais par des mots forts et bouleversants d'autres traumatismes. Elle dit le courage des femmes face à la barbarie des hommes. Il serait trop long et dommage de vous livrer le contenu des pages 159 à 163, mais sachez que ce récit/témoignage a été un des moments forts de ma lecture, il m'a bouleversée.
Elle dit aussi les instants de grâce comme dans cet autre passage très beau, intense. Souvenir d’Étienne dans un pays en guerre, un vieil homme qui le prend soudain par la main et l'emmène à travers les ruines jusqu'à chez lui, pour qu'il joue sur son piano. Instant béni au milieu du chaos.
Il y a de la poésie, de la douceur et de la rage dans les mots de Jeanne Benameur.
"les oiseaux voient tout et rien n'alourdit leurs ailes"
"aucune arme ne protège de la peine du monde"
"ne pas peser sur ceux qu'on aime"
"qu'est ce que tu lui as fait, à cette femme, pour que je la sente toujours avec toi, collée à cette histoire où tu détruisais tout à chaque départ"
"elles sont comme toi Étienne les femmes qui viennent ici. La différence c'est que leur destin a basculé sans qu'elles y mettent la main. Elles se sont retrouvées au plus obscur de l'histoire. Elles ont été prises, arrachées à leurs vies. Comme toi. Elles ont vu ce qu'il ne faut pas voir, jamais, pour pouvoir être encore un humain parmi les humains"
"les femmes qui sortent de mon bureau elles savent l'air qui manque à l'intérieur de soi et la vie qui s'en va. Ce savoir-là, une fois qu'on l'a acquis, ça ne peut plus s'effacer. La vie a changé. Elles ne seront plus jamais les mêmes"
Je remercie PriceMinister et son opération Les Matchs de la Rentrée Littéraire de m'avoir encore une fois fait découvrir une auteure et un roman qui m'ont conquise.
16:11 Publié dans Boum boum | Tags : otages intimes, jeanne benameur, félures, reconstruction, amitiés, force de vivre, #mrl15 | Lien permanent | Commentaires (9)
Commentaires
Écrit par : Léa Touch Book | 13/12/2015
Écrit par : Alex-Mot-à-Mots | 14/12/2015
Je vois que tu reviens doucement ma c'era ! bonne continuation ! bises
Écrit par : Licorne | 15/12/2015
Écrit par : Lupa | 19/12/2015
Écrit par : Attrape-mots | 19/12/2015
Écrit par : Les Sorcières | 20/12/2015
Alex : identification à ses préoccupations?
Licorne : :) Ce doit être une personne intéressante à écouter. Je t'accorde que le contenu n'est pas des plus légers mais j'aime ça et ça fait résonner beaucoup de choses. Je comprends sans peine ton besoin de lectures plus légères, plus dans la magie de Noël ^^
Je reviens à petits pas, très petits pas... bisou ma Lili
Lupa : ^^ ah je pense qu'il pourrait te toucher (j'en prendrais même le pari!). Bonne future découverte miss
Attrape-mots : bonjour et bienvenue ici :) Je dois donc aller te lire à mon tour pour savoir ce que tu en auras pensé exactement ^^ (et y a des chances que je découvre d'autres choses au détour de la visite :) ). A bientôt!
Les sorcières : à laquelle d'entre vous ai-je affaire ce soir? :p Ah, il faut parfois sortir de sa zone de confort, ça peut être vraiment intéressant et sympa (si ce n'est pour l'histoire, au moins pour le plaisir de la plume).
Écrit par : c'era una volta | 29/12/2015
Belle année :)
Écrit par : Léa Touch Book | 02/01/2016
Belle année à toi aussi :)
Écrit par : c'era una volta | 09/01/2016
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