04/08/2013
Jumelles - Saskia Sarginson
L'union sacrée
Isolte et Viola sont jumelles. Adolescentes puis adultes, elles ont suivi des chemins différents. Alors qu'Isolte s'est épanouie, Viola a sombré trahissant l'accord parfait qui les unissait enfant. Les laissant à leurs souvenirs... Enfants sauvageonnes, élevées de manière non conventionnelle par une mère un peu hippy, un peu paumée. Enfants un peu paria, un peu à part, la nature était leur élément, la forêt, leur refuge partagée avec leur double au masculin, les jumeaux Michael et John. Rien ne devait venir rompre ce quatuor jusqu'à ce qu'une nuit les entraîne dans un enfer dont elles gardent le secret.
La construction narrative de Jumelles pourrait désarçonner le lecteur car les transitions entre les voix d'Issy et Viola ne sont pas toujours clairement marquées au début. Peut-être parce que les souvenirs alternent aussi avec le présent de manière un peu anarchiques, il faut donc un temps d'adaptation pour s'y retrouver dans l'articulation du récit. Cependant, avec le recul et en ayant fait la connaissance des filles au fur et à mesure de l'avancée dans l'histoire, je trouve que cette organisation colle bien à nos jumelles.
Ainsi, Issy est la voix du présent, celle qui raconte les deux soeurs après leur vie dans le Suffolk. Elle est foncièrement tournée vers l'avenir. Issy n'a eu de cesse depuis son arrivée chez leur tante Hettie de s'intégrer, de se distinguer de Viola parce que peut-être trop son miroir et, que l'image qu'elle lui renvoyait était celle qu'elle cherchait à tout prix à fuir. Issy n'a jamais plus voulu regarder en arrière, n'a jamais plus voulu pleurer sur le passé et sur ce qui était arrivé. Elle a voulu oublier et en le faisant s'est éloignée de Viola. On ne peut pourtant lui en vouloir d'avoir "abandonné" sa soeur à ses démons pour se sauver elle-même.
Des deux jumelles, Issy était certainement la plus endurcie, la plus affirmée, le leader -comme Michael pouvait l'être pour John- montrant d'ailleurs par là, que bien qu'identique traits pour traits avec Viola, il n'en reste pas moins que les vrais jumeaux se distinguent au moins par leurs caractères et que cette disctinction tend à s'accentuer en grandissant. Peut-être est-ce justement parce qu'Issy nous est donnée à voir comme, des deux soeurs la plus forte, que je me suis un peu moins attachée à elle.
Viola est la voix du passé, celle qui se souvient : leur mère, l'attachement des deux soeurs aux jumeaux et leurs virées folles en forêt, les paysages du Suffolk et la liberté. Viola revient sans cesse sur ce lien si fort et si intime qu'elle avait avec Issy et que rien ne semblait pouvoir briser. Surtout pas ce Paul, le nouveau prétendant de leur mère, et sa petite Polly. Viola est cette voix qui nous livre les clés de la tragédie, les tenants, les aboutissants. La voix de Viola qui revient de loin c'est aussi l'absence, le manque de sa mère, de sa soeur, de John et de cette vie d'avant le drame.
Viola a tout de suite attiré ma sympathie. Peut-être parce que plus sensible, plus profonde, plus marquée par ce passé et continuant de se débattre avec jusqu'à en faire une force pour guérir.
Qu'importe le chemin prit par l'une et l'autre, au bout il y aura des retrouvailles, au bout il y aura l'acceptation et la rédemption.
Saskia Sarginson pour un premier roman, à la fois sombre et mystérieux rend parfaitement la psychologie de ces deux soeurs. Quel portrait de jumelles/jumeaux à la fois complexe et grave mais beau aussi nous donne-t-elle à voir!
Jumelles c'est la tension d'une tragédie que l'on sent venir sans parvenir à cerner qui en sera la victime, c'est les tourments d'une culpabilité, des remords qui hantent et détruisent. C'est surtout une plongée dans l'enfance et dans ce qu'elle a de plus absolu : l'amour exclusif, l'amitié inconditionnelle, la jalousie qui conduisent à des actes dont parfois seuls les enfants ont le secret!
Extraits :
"Bien sur, l'inanition est douloureuse. Mais on peut se servir de ces accès de douleur comme d'un couteau pour découper toutes les mauvaises choses en soi. Et on finit par désirer cette sensation. Parce que la faim est une amie. Grâce à elle, on peut toucher au squelette de notre être beaucoup plus rapidement qu'on ne pourrait le penser."
"Un jour, je m'avancerai dans le vide. Je sentirai l'air saisir mes os creux, onduler sous ma peau tendue. Et je m'en irai comme une ombre courant sur les roseaux, une forme abandonnée sur les galets."
"-Est-ce que ça t'arrive d'en avoir marre? demanda-t-il en essuyant le sang de son menton. D'avoir une jumelle. Qui te casse les pieds, qui te donne des ordres et te pique tes affaires?
Je hochais la tête et éprouvai un soulagement à cet aveu. Je lançai un regard coupable derrière moi, comme si Issy se trouvait dans le coin de la pièce et m'observait la trahir. Je ressentis un élancement vif dans la mâchoire. En ce moment même, le dentiste devait être en train de lui examiner la bouche, la fraise hurlante à la main, le métal mordant dans sa dent. Je savais comment ses doigts s'aggripaient au siège."
"-C'est notre mère, dit Issy, furieuse. C'est déjà assez dur de devoir se la partager entre nous.
-Mais au moins on a les mêmes droits sur elle, acquiesçai-je.
-Les droits du sang, dit Issy, la mine sombre."
"Je me tins à l'entrée, les yeux levés vers le ciel immense, les cercles des oiseaux et les petites traînées nuageuses. Là-haut, la lumière me tendait les bras, me promettant la liberté. J'avais l'impression de ne plus rien peser, de ne plus avoir d'os, comme si une partie de moi s'était détachée. Et je suis alors que je pouvais voler."
"Mon coeur
Est sombre et mûr
Comme un bleu
Une douleur
Me creuse de l'intérieur.
Te regretter
N'a pas de sens, n'a pas d'objet.
Et pourtant..."
"Personne ne me verra comme John m'a vue. Dans son amour il percevait la vérité de mon essence : le fait que j'étais constituée de plusieurs couches, comme une peinture. Il voyait mon moi séparé, résolumment et délicatement solitaire, transparent comme une aquarelle. Mais il savait que l'existence de cette personne-là était indissociablement liée à l'attraction magnétique de l'image de Viola-et-Issy, présente en dessous, tracée à coups de pinceau hardis et fougueux. Il le comprenait parce que, comme moi, il était pris dans l'insoluble équation d'être deux."
Je remercie Livraddict et les éditions Marabout pour cette nouvelle découverte!
20:35 Publié dans Bang | Tags : jumelles, saskia sarginson, duo qui vire au quatuor, 2 filles et 2 garçons, enfance, erreur, jalousie, tourments, anorexie, pas moyen d'oublier, amour et rédemption | Lien permanent | Commentaires (13)
Commentaires
Une chronique qui donne clairement envie. Ce livre me tente de plus en plus surtout que beaucoup de blogueurs en font la promotion. Il me fait pensé à Des bleus au cœur de Louisa Reid dont j'avais eu un coup de coeur. :) A voir. A bientôt C'era Volta.
Écrit par : bea285 | 04/08/2013
Je dois le lire rapidement, tu me donnes encore plus hâte!
Écrit par : Lavinia | 05/08/2013
Très bonne chronique qui rejoint finalement la mienne ! :)
Écrit par : Ingrid Fasquelle | 05/08/2013
j'ai adoré cette lecture, la plume est certes particulière mais j'ai réussi à me plonger dans ce roman avec beaucoup de passion
Écrit par : Nessa | 05/08/2013
Je suis très tentée par ce livre, déjà Ingrid m'avait donné envie de le lire malgré son bémol, ensuite, Nessa m'avait déjà bien donné envie, et toi tu viens de m'achever.... ^^
Écrit par : clédesol | 05/08/2013
chouette chronique et nos avis se rejoignent!
Écrit par : chloé | 05/08/2013
j'hésitais mais plus maintenant !
Écrit par : stephanie plaisir de lire | 05/08/2013
@bea : bonjour et bienvenue par ici! Tu pourrais me mettre le lien vers le livre dont tu parles, si tu en as fait une chronique je serais intéressée de la lire :) Je ne peux que te conseiller de lire Jumelles, je crois que nous sommes quelques-unes à l'avoir apprécié :)
@lavinia : quand tu l'auras lu, viens en discuter sans faute. Je lirai ton billet avec intérêt :)
@ingrid : oui, à quelque chose près j'ai été lire ton avis aussi :) Une auteure à suivre n'est ce pas?
@nessa : bienvenue par ici! Je vais voir ta chronique de ce pas. Tu es enthousiaste c'est plaisant :) Voilà, j'ai lu ton avis et je constate que nous avons ressenti les mêmes choses. Ton billet et même plus complet que le mien car tu précises les différents sujets qu'abordent Jumelles et ils sont variés oui.
@ahahah, vas-y clédesol lance-toi!
@Chloé : oui :) Contente que nous partagions le même avis. On aura peut-être le plaisir de lire le prochain titre de l'auteure et d'en parler?
@Stéph., n'hésite plus, je pense pas que tu seras déçue de cette lecture.
Écrit par : C'era una volta | 07/08/2013
Pas tentée par le sujet, mais le roman a l'air très bien.
Écrit par : Alex-Mot-à-Mots | 15/08/2013
Ce roman aborde beaucoup de thèmes différents tu sais, la gémellité certes mais pas que : anorexie, culpabilité et poids des secrets et tant d'autres...
Écrit par : C'era una volta | 15/08/2013
Wouah, j'ai entendu parler de ce roman par une copine mais je n'avais pas été voir de quoi ça parlait.
Et puis, le lendemain, je regarde ton blog, et je vois ton article qui en parle.
Je vais le lire et puis, alors qu'il ne m'avait pas tentée lors des partes, là, je suis nettement plus intriguée.
Il semble être profond et poignant. Eh ben maintenant, je suis intéressée
Écrit par : Aveline | 01/09/2013
C'est une lecture assez sombre, intrigante avec des thèmes intéressants qui ne sont certes pas principaux mais qui donnent une dimension peut-être oui, plus profonde. En tout cas, cela donne une aura aux personnages. Lis-le si tu en as l'occasion et reviens me dire ce que tu en auras pensé.
Écrit par : C'era una volta | 09/09/2013
C'est un roman que j'ai lu et que j'ai adoré! :)
Écrit par : Camilla | 15/04/2014
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