25/01/2014
Le baiser du rasoir - Daniel Polansky
L'imperfection au masculin
A Basse-Fosse, la bien nommée, est retrouvé le cadavre de la petite Tara suivi bientôt par d'autres disparitions et meurtres d'enfants. La population de ce quartier miséreux qui croupit dans la fange ne veut pas voir ces crimes impunis - ce qui ne manquerait pas d'arriver si la police locale s'en occupait seule. Un homme, ancien agent de la Couronne, présentement dealer notoire va devoir leur prêter une main forte quelque peu forcée. 6 jours pour résoudre l'énigme de ces crimes. Le compte à rebours a commencé.
Basse-Fosse, tome1
Dans ce roman préparez vous à plonger dans un vaste monde à la population hétéroclite. Rigus, nous offre un melting-pot de races comme seules des villes cosmopolites telle que New York ou Paris peuvent en recéler. Iliens, Kirènes, Tarasaihgnes, Rouendiens, référence aux Drennes (etc...). L'univers planté par Polansky s'étend à perte de vue. Il faut d'ailleurs se concentrer ou prendre des notes pour tout intégrer car l'auteur ne s'attarde pas à outrance sur les descriptions, ni ne nous fait l'historique de ces ethnies. Le lecteur fera seul le travail de reconstitution et finira d'ailleurs par voir en certains de ses peuples quelques liens avec nos races humaines. J'ai aimé cette diversité malgré l'effort de mémoire et, la linguiste que je fus le temps de quelques années d'étude, n'a pas manqué d'apprécier les descriptions sur les langues parlées et leur usage qui ont ajouté à l'immersion dans ce monde.
Vrai plaisir aussi que ces joutes verbales entre notre narrateur, Prévôt, et ses interlocuteurs, amis ou ennemis d'ailleurs. Le maniement des mots, de la langue se fait avec dextérité. Les réparties : piquantes, acerbes, humoristiques, pompeuses et même précieuses fleurissent à chaque page. Il n'est pas possible d'aimer la langue et les mots et de ne pas se délecter de cette lecture. Le texte en est incisif, mordant, imagé. Tout ce que j'aime. Je tire mon chapeau au traducteur, Patrick Marcel pour son travail.
L'histoire qui mêle adroitement fantasy et polar noir m'a convaincue sans difficultés. Je ne suis pas une habituée de fantasy mais il me semble qu'ici on retrouve bien les codes du genre : vaste monde fantastique qui ne manquera pas de nourrir votre imaginaire, nombreux aspects mythiques. La fantasy frôle d'ailleurs ici le fantastique avec l'intrusion de l'horreur et l'utilisation d'une magie noire à la limite du surnaturel. Le baiser du rasoir s'approche pour moi de l'urban fantasy par le décor dans lequel l'histoire est plantée : le quartier de Basse-Fosse, tout sauf féérique. Et de la dark fantasy pour son côté hyper sombre et où il est difficile de dire si le bien a vraiment triomphé. Je n'irais pas par exemple jusqu'à dire que notre héros Prévôt incarne le Bien ^^ Mais aussi parce que le tribu perdu (que ce soit en âmes ou illusions) par la communauté et toujours Prévôt est somme toute assez lourd.
Et le côté polar alors? Sombre à souhait. J'ai lu ça et là que les briscards du genre étaient quelque peu déçus parce que rodés aux ficelles et que donc le dénouement les a laissés sans surprise. Bien, ça peut arriver et je comprends la déception, qui ne fut pas mienne. Je dois encore être une novice ^^ Pour autant, j'ai senti arriver quelques révélations et pas des moindres. Certes celle du dénouement final m'a échappée mais ça, je pense que c'est en grande partie parce que j'avais d'autres espérances et attentes et que celles-ci m'ont empêchée de sentir le truc... C'est donc toute dépitée que j'ai accueilli le fin mot de l'histoire mais bon, pouvait-il en être autrement? Dark is dark j'ai dit et il fallait respecter ça jusqu'au bout, n'en déplaise à... non je ne peux pas le dire, ce serait spoiler!
Est-ce que le rythme de l'enquête est soutenu, est-ce qu'il tient en haleine? Je dirai que ses prémices sont assez longs (mais pas longuets). Mais bon il faut dire que les activités illicites de notre Prévôt ne lui permettent pas de s'y consacrer à corps perdu dès le début et, il lui faudra bien quelques contraintes extérieures pour qu'elle devienne prioritaire et même vitale. A partir de là, l'action est lancée et ça va déménager! Courses poursuites, coups pour coups, œil pour œil, dent pour dent : si Prévôt va être mis à mal par ses anciens collègues des opérations spéciales, par les truands qui jalonnent son chemin il ne sera pas en reste côté distribution de galoches.
Parlons un peu de notre héros et narrateur principal : Prévôt est né à Basse-Fosse, il a grandi dans cette fange et s'est fait tout seul après que la peste rouge est emportée les siens ; la mort donc il la côtoie depuis toujours et s'il la contemple souvent de haut, il est assez intelligent pour la tenir à distance avec tous les moyens en sa possession. Fier, plein de morgue quand il s'agit de côtoyer de gré ou de force ses anciens collègues, arrogant mais aussi extrêmement fidèle en amitié et rusé. Caricature du héros hanté par ses démons, Prévôt est un dealer connu, reconnu, maître de son territoire. "Prince" déchu des forces spéciales, héros de guerre. Il fallait tout ça au moins pour se sortir de la mouise dans laquelle les évènements l'ont plongé. Ce n'est par hasard que l'on devient héros d'un roman ^^ Bref, ce gars-là même bourru, même laid (c'est lui qui le dit), même drogué a un charisme de malade et on s'y attache à sa carcasse, on frémit même (surtout?) pour lui! Dire que Polansky ne se prive pas d'utiliser son personnage pour faire sa critique de société serait peu dire. Système juridique, policier (armée?), place des nantis, condition et considérations sur les races tout y passe. La réalité n'est jamais bien loin derrière la fiction n'est-ce pas?
Ce tome 1 a un univers intéressant, qui demande à être plus fouillé, mieux décrit encore. Il regorge de personnages attachants et qu'on prendra plaisir à retrouver dans le/les tomes suivants. Rendez-vous pris pour moi.
Je remercie Folio pour ce 1er partenariat, en souhaitant que les suivants me réservent autant de bonnes surprises!
"-Vous êtes un homme froid.
-C'est le monde qui est froid. Je me suis acclimaté à la température ambiante."
"Si la race humaine a inventé une institution plus efficace que la noblesse, pour la propagation des handicapés de l'intellect et de l’éthique, je ne suis pas encore tombé dessus. Prenez la progéniture d'un demi-millénaire de mongoliens consanguins, de cousins germains et d'hémophiles. Élevez-les via une série de nourrices bouffies, de confesseurs abrutis par la boisson et d'universitaires ratés, parce que Sakra sait que Papa et Maman sont bien trop occupés à se tripoter à la Cour pour prendre en main l'éducation d'un enfant. Veillez à ce que toute la formation qu'ils reçoivent dans leur jeunesse ne concerne jamais rien de plus pratique que le maniement de l'épée et l'étude des langues que plus personne ne parle, dotez-les d'une fortune quand ils atteignent leur majorité, placez-les hors des limites de tout système légal plus développé que le code duello, ajoutez la tendance instinctive de l'humanité à la paresse, l'avarice et l'intolérance, remuez soigneusement, et voilà : vous obtenez l'aristocratie."
"Un agent ne cherche pas à rendre la justice, il maintient l'ordre."
14:05 Publié dans Bang, Boum boum | Tags : le baiser du rasoir, daniel polansky, polar-fantasy, vaste univers, ethnies diverses et variées, réparties qui piquent, magie noire, ça dépote et j'adore! | Lien permanent | Commentaires (8)
Commentaires
Quelle belle chronique dis donc ! :)
Je n'ai pas vu le dénouement arrivé mais comme toi je ne suis pas une adepte régulière de la fantasy !
Contente d'avoir lu ce livre en même temps que toi ! A refaire ;)
Écrit par : Lizouzou | 25/01/2014
Arf, c'est encore un tome 1... J'en ai un peu marre des séries... Mais néanmoins, ton billet m'intrigue surtout lorsque tu évoques les langues parlées ! Forcément, tu piques ma curiosité et tu réveilles mon intérêt pour la linguistique ! Je ne suis pas friande de fantasy mais peut-être que ce titre-là me plairait !
Écrit par : ingrid | 26/01/2014
Je signe et je re-signe !
Côté fantasy, je suis déjà adepte... côté polar, ça fait partie des genres que j'apprécie...
Ce tome sombre a, je pense, tout pour me convaincre, et ta chronique n'y est pas pour rien !
Écrit par : solessor | 26/01/2014
J'ai tenté une lecture de ta chronique en diagonale, j'avais peur d'une haute révélation... Mais tu n'as rien dévoilé, enfin juste assez pour que j'ai hâte de recevoir ce bouquin maintenant. Il me tarde de voir de plus près à quoi ressemble ce Prévôt ! Contente que l'univers de la fantasy te plaise ! ;)
Écrit par : Licorne | 27/01/2014
Et bien voilà c'est confirmé, je note !
Écrit par : stephanie plaisir de lire | 27/01/2014
Beau billet M'amzelle !! rien que de te lire, ça donne envie de lire les bouquins....tu es douée saperlipopette pour les chroniques :)))
Écrit par : JG | 27/01/2014
Merci Lizou :) On se fera une LC officieuse pour la sortie du T.2 ^^
Ingrid, c'est un T.1 oui mais un tome dont l'histoire a une fin. Après c'est sûr on va retrouver certains personnages dont notre Prévôt. Il se peut aussi que l'intrigue du t.2 soit liée à certains évènements de ce tome (résurgence de la peste rouge???) mais ce sera sans nul doute une nouvelle intrigue.
Merci Sol' :) Contente que tu aies envie de plonger dans l'univers de Polansky. Je pense que ça en vaut la peine ^^
Coucou ma Lili! Je vais trop peu souvent vers le genre fantasy dans mes lectures et c'est un tort car je suis rarement déçue. Cela nourrit toujours mon imagination et c'est un vrai plaisir! J'ai hâte que tu te mettes à cette lecture pour que nous puissions en parler :)
Eh eh Stéph. J'alimente ta wish list? :p Tout le plaisir est pour moi ^^
JG... je cherche ^^ Merci du compliment. C'est agréable de savoir que ce qu'on écrit plaît et donne envie!
Écrit par : C'era una volta | 27/01/2014
Je ne connaissais pas du tout mais cela m'intrigue vraiment : merci de la découverte :)
Écrit par : Léa Touch Book | 02/08/2014
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