07/03/2014
Mapuche - Caryl Férey
Un peu d'amour dans un monde de brutes
Argentine, Buenos Aires, Jana la Mapuche et son ami(e) Paula, un travesti, décident, face à la nonchalance de la police locale, de prendre les choses en main suite à l'horrible meurtre de leur ami(e) Luz/Orlando. Rubén Calderón, fils du poète Daniel Calderón assassiné durant le Processus, un privé qui habite près de la blanchisserie que tient la mère de Paula, semble alors tout désigné pour être saisi de l'enquête. Sauf que l'homme n'a pas le temps pour ça vu qu'il œuvre déjà sans relâche pour les Grands Mères de la place de Mai. Ces mères, dont la sienne, veulent faire justice aux disparus du régime de Videla et surtout punir leurs responsables.
Lorsqu'un ami journaliste demande à Calderón d'enquêter sur la disparition de la photographe Maria Victoria Campallo, les trajectoires de Jana et Rubén vont alors converger et rapprocher ces deux âmes torturées pour les mener en enfer.
Mapuche est un polar noir de chez noir, corsé comme doivent l'aimer les amateurs. Un roman au style percutant, à l'écriture crue et qui n'épargne pas le lecteur par la violence de ses scènes macabres, par les descriptions des tortures endurées au passé comme au présent. Oui, mais ce n'est pas gratuit. L'auteur s'appuie sur une trame "policière" pour construire son roman mais on ne peut réduire Mapuche à cela. Ici la fiction se mêle à l'Histoire, au réel récent ou lointain : extermination des peuples indiens (les Mapuches ici) ou exactions du régime de Videla, Caryl Férey nous en apprend énormément sur certains pans de l'Histoire Argentine et sur les génocides perpétrés.
Je dois dire que l'Argentine n'évoquait pour moi, avant ma lecture, que le footballeur Maradona, la guerre des Malouines, une planque pour des criminels nazis, le film Evita, une phénoménale débâcle banquière mais certainement pas les Grands mères de la place de Mai, ni les enlèvements et tortures endurées par les "subversifs", ni les meurtres à la pelle impunis, ni les apropriadors et tout ce qui est lié à la part sombre de ce pays.
Choix non anodin que de faire porter toute l'histoire de ce roman par Jana la Mapuche et Rubén Calderón.
Jana est une jeune indienne venue à Buenos Aires pour étudier les Beaux Arts. La banqueroute du pays, l'absence de ressources la contraindront comme tant d'autres à se prostituer pour survivre. C'est au cours de ses années de galère qu'elle se liera d'amitié avec le travesti Paula avant de récupérer l'atelier de son mentor et amant, l'artiste Furlan, évaporé depuis dans la nature. Jana porte en elle la rage de son peuple exterminé par les chrétiens, celle de sa famille battue et humiliée par les winka (les étrangers). Son corps garde lui les stigmates du traumatisme. Mais l'indienne, endurcie par la vie, est aussi une battante, une guerrière. Certains l'apprendront à leurs dépens.
Rubén Calderón est un rescapé des geôles de l'ESMA (École supérieure de mécanique de la marine). Son père, poète dissident a disparu, lui et sa petite sœur seront enlevés en pleine rue. Enfermé dans une cage comme tant d'autres, torturé par les militaires tortionnaires qui sévissaient là en toute impunité, il sera relâché au milieu de la liesse générale du peuple argentin vainqueur du Mondial'78. Il retrouvera sa mère Elena Calderón, devenue une des leaders des Mères de la Place de Mai mais lui taira les sévices endurés, la mort des siens. Devenu détective au service de ces femmes qui se battent depuis des décennies pour faire éclater la vérité, Rubén ne lâchera rien pour faire la peau aux bourreaux de Videla et venger les disparus.
Ces deux-là vont se trouver et s'unir corps et âmes pour mener à bien leurs recherches. Loin de se douter que le crime d'un travesti, la disparition d'une photographe ne sont que la partie immergée de l'iceberg et reliés au-delà des apparences.
Ce roman est intense, prenant, trépidant, âpre et dérangeant aussi. Difficile de ne pas en sortir interpelé.
"La vérité est comme l'huile dans l'eau : elle finit toujours par remonter."
Je remercie Folio pour ce nouveau partenariat fort et enrichissant.
20:12 Publié dans Bang | Tags : mapuche, caryl férey, dictature de videla, disparition enfants, tortures, grands mère de la place de mai, argentine | Lien permanent | Commentaires (8)
Commentaires
well, autant le sujet m'interpellait, autant le traitement 'noir de chez noir' me laisse perplexe, je suis dans une phase : rose et douceur... pas au point de lire des Harlequins, hein ^^ mais pas envie de noirceur, de douleur physique et morale. De surcroît, j'ai lu, cet été, un livre narrant aussi la dure réalité des geôles, des hommes mis en cage. Donc, je passe...
Biz et merci pour cette présentation.
Écrit par : nanet | 08/03/2014
Eh bien, pour moi, c'est l'inverse, Nanet ! Quand c'est noir, dérangeant mais que cela sert à dénoncer la violence et à faire passer un message fort, je dis oui oui et oui ! Peut-être pas en ce moment parce que j'ai envie moi aussi de lectures légères et réconfortantes mais un de ces jours, pourquoi pas ! Merci pour cette belle chronique, C'era !
Écrit par : ingrid | 08/03/2014
Ton article est magnifique et rend bien justice à ce livre noir qui devrait être mis plus en avant ! Je l'ai conseillé à une de mes lectrices qui m'a avoué l'avoir lu en plein hiver quand il faisait bien froid car elle se doutait qu'il traiterait un sujet dur ! Mais elle a appris plein de choses et elle m'a remerciait pour ce conseil ! ça fait plaisir ! ;)
Écrit par : Lizouzou | 08/03/2014
Je préfère ses récits plus courts. Je n'ai jamais réussi à finir ses premiers romans longs.
Écrit par : Alex-Mot-à-Mots | 09/03/2014
Ah, je suis contente de lire un article sur ce polar dont j'ai tant entendu parler. Le côté historique a l'air vraiment très chouette, mais tout cela a l'air dense aussi. Tu t'es contentée des explications de l'auteur ou tu as fait des recherches pendant ta lecture ?
Écrit par : DoloresH | 09/03/2014
@Nanet : parfois c'est juste bien de s'arrêter à la lecture d'une chronique sur un roman. Cela permet de savoir qu'un tel roman existe et parle de tel sujet. Et il faut respecter ses envies avant toute chose :)
@Ingrid : Je mets quand même en garde. Le sujet est dur et quand on sort de l'enquête à proprement parler pour plonger dans les souvenirs du détective ou que l'auteur parle des tortures qui ont touché adultes comme enfants, ça remue bien. Bien choisir le moment pour cette lecture. Mais c'est ce que tu sembles faire donc pas de soucis. En tout cas, pour dénoncer ça dénonce. C'est nécessaire ce type de roman pour nous éclairer sur certains faits qu'on zappe bien souvent.
@Lizou : merci miss! Je ne doute pas que ce roman et son auteur vont être un peu plus mis en avant. Lui semble bénéficier depuis quelques temps d'une côte de popularité grandissante. Et tant mieux si ça permet de faire connaître un tel roman qui vaut vraiment le détour. Je ne suis pas étonnée que ta cliente ait apprécié. Tu l'as bien conseillée Lizou :)
@Alex : pourquoi ne les as-tu pas fini? ça, ça m'intéresserait de le savoir.
@DoH : Il est bien dense et fourmille de pleins de faits historiques et bien glauques. Je pense que tu l'apprécierais pour ça, même s'il est dur. J'ai fait quelques recherches pendant l'écriture de mon billet (d'ailleurs, je sais pas si tu as fait attention mais il y a des liens sur certains mots clés dans le billet, pour ceux qui voudraient en savoir un peu plus).
Merci à toutes de vos messages
Écrit par : c'era una volta | 18/03/2014
J'adore tous les livres de cet auteur ! :) un très bon livre ^^
Écrit par : Léa Touch Book | 02/08/2014
Tu savais qu'il avait aussi écrit des livres jeunesse?
Zulu a l'air vraiment bien aussi. En tout cas, c'est un auteur charmant et j'ai apprécié le court échange que j'ai eu avec lui au dernier Festival Quais du polar de Lyon.
Écrit par : c'era una volta | 16/08/2014
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