18/07/2014
Après minuit - Irmgard Keun
Un mouton noir dans le troupeau
Dans cette Allemagne d'avant guerre, on suit Suzon, dix-huit ans. La jeune femme qui aspire à des choses légères, de son âge, n'est pourtant pas dupe de ce qui se passe : montée de l'anti-sémitisme, querelles intestines au sein des activistes du parti national-socialiste, délation abusive, autoritarisme et restriction des libertés individuelles, idéalisation d'Hitler, endoctrinement et autres dérives. Suzon jette un regard éclairé sur les évènements et nous donne accès à l'état d'esprit particulier dans lequel se trouvaient les allemands à cette époque.
La préface d'Eric Emmanuel Schmitt est un condensé de ce roman. L'auteur éclaire de son regard la lecture à venir d'Après minuit et met le récit en lien direct avec le vécu de son auteure, Irmgard Keun. Cette dernière black listée par les nazis du fait de ses écrits, choisit de s'exiler ainsi que d'autres écrivains aux Pays Bas. Elle reviendra en Allemagne sous une fausse identité, mais noyée dans l'alcool et n'écrivant plus, s'y fera oublier.
Ses romans remis au goût du jour par des féministes permettent à Irmgard Keun d'être aujourd'hui connue dans le monde entier.
Après minuit se construit sous la forme de courts récits anecdotiques livrés par Suzanne Moder, dite Suzon. De son arrivée à Cologne, auprès de la détestable tante Adelaïde et de son cousin Franz jusqu'à son installation à Francfort auprès d'Algin, son demi-frère écrivain, et son départ du pays.
La jeune Suzon, au gré de ses fréquentations (juifs ou allemands, artistes et nantis formant la jeunesse dorée) et sorties dans les brasseries allemandes ouvrent un regard circonspect et critique sur ses concitoyens, plus ou moins endoctrinés et, par là, sur la société allemande de l'époque qui voulait se construire un visage parfait à l'image du Führer.
Le roman oscille entre cette légèreté de ton liée aux récits de ces soirées entre jeunes femmes et hommes, plus ou moins éclairés, et la noirceur à laquelle les réflexions et tristes constatations de Suzon aboutissent. L'esprit de fête est ainsi souvent entaché de doutes, de craintes quant à ce qui peut être dit, fait non seulement en ces lieux investis aussi par les gradés de la SA ou SS mais aussi chez soi. Notre narratrice nous décrit à la fois le sentiment nationaliste et la terreur qui viennent gangréner l'esprit de chacun, les poussant à la délation pour un oui, pour un non ; pour gagner quelques échelons ; pour être irréprochable aux yeux des militaires et de la Gestapo aussi.
Suzon nous raconte aussi ces hommes et ces femmes devenus lâches, qui ont agit parfois par peur plus que par conviction. Elle raconte l'aveuglement de ses contemporains qui se sont laissés endormir par l'idéologie nazie et qui ont laissé faire. Enfin "laissé faire"... non, beaucoup ont pris une part active dans cette glorification du Nazisme, d'Hitler et ce qui a conduit le monde à la guerre de 39-45 et à l'extermination de millions de juifs et Hommes du monde entier.
Après minuit est intéressant pour cette vision de l'intérieur qu'il donne de ce qu'était l'Allemagne à la fin des années 30. C'est un regard quasi auto-biographique parce que nul doute que l'auteure, Irmgard Keun, sous les traits de personnages fictifs s'est inspirée de son propre vécu pour écrire ce roman. Ecrit en 37, la critique qui y est faite est déjà très lucide.
Je remercie Babelio qui par son opération Masse Critique me permet régulièrement de belles découvertes, tant de romans que d'auteurs. Et je remercie Les Editions Belfond, cette collection "Vintage" recèle des titres alléchants.
"Au fond, le nazisme prospère sur l'ignorance plus que sur la connaissance qu'en ont les Allemands." E.E. Schmitt
"M. Kulmbach dit souvent que le Fürher a fait l'unité du peuple allemand. C'est bien vrai, seulement les gens ne peuvent pas se souffrir entre eux. Ca n'a d'ailleurs aucune importance du moment que l'unité politique est faite." Irmgard Keun
14:03 Publié dans Bang | Tags : après minuit, irmgard keun, allemagne pré-guerre, fin des années 30, jeunesse allemande de cologne et francfort, montée du nazisme, nationalisme, fürher, moutons, esprit critique, délation, antisémitisme, anti-voisins, peur, exil | Lien permanent | Commentaires (3)
Commentaires
Ce livre m'intrigue je le note :)
Écrit par : Léa Touch Book | 18/07/2014
C'est toujours intéressant de s'immerger dans l'ambiance d'un pays avant la guerre ! Un livre à retenir donc :)
Écrit par : Lupa | 19/07/2014
@Léa et Lupa : ce n'est pas un livre qui emballe le coeur mais il gagnerait à être plus connu parce qu'il permet de réfléchir à ce qui peut conduire les Hommes à des comportements terribles (délation, racisme, etc...). Et puis il rend terriblement bien compte du comportement et de l'état d'esprit des allemands à la fin des années 30...
Écrit par : c'era una volta | 21/07/2014
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