04/03/2015
Le gardien invisible - Dolores Redondo
La Bête du Baztan
Des jeunes filles d'Elizondo, village du Pays Basque espagnol, sont retrouvées mortes, le corps étrangement mis en scène, une pâtisserie locale couvrant le pubis, telle une offrande à... Les instances policières locales font appel à l'inspectrice Amaia Salazar, originaire du coin, profileuse formée à Quantico, et qui saura sans doute mieux que personne traquer le criminel qui œuvre sur le territoire de son enfance.
Une enquête difficile qui va la confronter aux siens, aux croyances populaires basques et surtout à ses propres démons.
Le gardien invisible inaugure la Trilogie du Baztàn, premier roman policier de Dolores Redondo, auteure espagnole, publié en France. Traduit par Marianne Million (comporte d'ailleurs quelques erreurs donnant lieu à de petites incohérences que le lecteur n'aura pas de mal à corriger de lui-même).
Je crois avoir été envoûtée par cette histoire, subjuguée même par ce savant mélange entre polar noir, intrigue familiale et fantastique.
L'enquête avance lentement, Amaia Salazar piétine, l'esprit parasité par la résurgence d'angoisses liées à un traumatisme lointain. Petite dernière de la famille, elle a fui ce village dès que l'occasion s'est présentée de partir étudier en ville, n'y revenant que sous la contrainte d'obligations familiales.
Ses sœurs, elles, sont restées à gérer la fabrique familiale de txatxingorri, une pâtisserie basque réputée. Ce petit gâteau crémeux dont on retrouve justement la trace sur le pubis rasé des jeunes victimes dont les vêtements ont été lacérés.
Dans une ambiance familiale lourde de rancœurs et de non-dits, dans un village où les habitants préfèrent voir dans ces crimes l’œuvre du Basajaun, un être fantastique des forêts, plutôt que l’œuvre d'un de leur concitoyen, Amaia devra éliminer, tout comme le lecteur, toutes les fausses pistes qui se présentent à elle jusqu'à y voir clair dans le jeu du meurtrier.
Je ne sais pas si Dolores Redondo l'a voulu ainsi, mais il se trouve que mon intérêt pour l'enquête a été presque relégué au second plan face au trauma passé d'Amaia Salazar. Non que l'enquête soit dénuée d'intérêts, très loin de là, mais c'était comme si mon cerveau s'était parcellisé. Je me suis retrouvée à mettre de côté les indices propres à l'enquête pour attendre avec impatience et un intérêt de plus en plus fort, ceux liés au passé d'Amaia. Cela tient peut-être à ce que j'accorde une grande importance à la psychologie des personnages et de ce point de vue, Amaia est très intéressante. En même temps, sur la psychologie du criminel, Amaia faisant chou blanc durant une bonne partie du roman, mon intérêt de lectrice ne pouvait que se reporter sur cette inspectrice complexe.
Les indices de ce trauma passé, pour revenir à eux, s'imbriquaient parfois tellement à ceux de l'enquête, qu'ils me troublaient et m'orientaient à mon tour sur diverses pistes, au final toutes fausses. Ah que j'aurais aimé en voir une aboutir, mais non, zut! J'avoue m'être laissée surprendre par la tournure des évènements et l'aboutissement final.
L'écriture est fluide, très agréable à lire. La terre basque et sa culture s'ouvre sous nos yeux et on en ressort enrichi de connaissances sur la mythologie et la région. On sent dans la plume de l'auteure, sa propre culture et son envie de la partager. Quelle ambiance, tour à tour glaçante, effrayante, paisible aussi, j'ai adoré!
Dolores Redondo nous offre aussi une peinture de protagonistes qui ont su m'émouvoir, m'attendrir, m'étonner, m'horripiler et m'horrifier même. Une palette d'émotions comme j'aime en avoir.
Elle a réussi à donner à son roman policier une âme, incarnée par Amaia Salazar, une inspectrice à dimension humaine, droite dans ses bottes, que j'aurai vraiment plaisir à retrouver dans la suite de cette trilogie : De chair et d'os, à paraître ce mois-ci.
"Dans le Baztàn, la nuit était obscure et sinistre. Les murs du foyer délimitaient depuis toujours le périmètre de sécurité, et, en dehors, tout était incertain. Il n’était pas étonnant que cent ans au plus tôt à peine, neuf habitants sur dix au Baztàn aient cru à l’existence des sorcières, à la présence du mal se tenant aux aguets dans la nuit et aux incantations magiques pour tenir les uns et les autres au respect."
"Et la présence. Elle la sentit si proche et maléfique que son cœur bondit dans sa poitrine et au gré d'une convulsion presque sonore. Avant d'ouvrir les yeux, elle savait déjà qu'elle était là, debout près du lit. Elle l'avait observée, avec son sourire tordu et ses yeux froids, secrètement amusée à l'idée de la terroriser, ainsi qu'elle le faisait quand Amaia était petite et qu'elle le faisait encore aujourd'hui, car après tout, elle vivait dans sa peur. Amaia le savait, mais elle ne pouvait éviter la panique qui, telle une dalle, l'écrasait en l'immobilisant, la transformant en la fillette tremblante qui luttait contre elle-même pour ne pas ouvrir les yeux. « Ne les ouvre pas, ne les ouvre pas. » Mais elle les ouvrit, et elle savait déjà que son visage était penché sur elle, s'approchant encore tel celui d'un vampire qui avait l'intention non de boire son sang, mais son souffle."
19:14 Publié dans Boum boum | Tags : le gardien invisible, dolores redondo, tome 1 de la trilogie du baztan, pays basque, croyances ancestrales et enquête classique, savant mélange original et appréciable, traumatisme enfance, mère indigne, c'est compliqué les relations familiales, j'en suis pour la suite!!! | Lien permanent | Commentaires (19)
Commentaires
Je me demande encore ce qui ne t'a pas "arrangée" à la fin !
Écrit par : soundandfury | 04/03/2015
Écrit par : Léa Touch Book | 04/03/2015
Écrit par : Ingrid | 04/03/2015
Écrit par : Alex-Mot-à-Mots | 05/03/2015
Merci pour cette découverte ! ^^
Il a tout pour me plaire ce polar déjà parce que j'aime beaucoup quand un livre en plus d'une intrigue intéressante, nous apprend quelque chose en plus sur une région ou une culture ! Je le rajoute dans ma wish-list !
Écrit par : cledesol | 05/03/2015
Vrai que l'inspectrice est hantée par des fantômes plus "réels" que ceux qui sont censés se trouver dans les bois alentours. ^^
@Léa : à ton service
@Ingrid : je trouvais que le mot "parcellisé" convenait parfaitement à mon sentiment durant ma lecture (j'aurais pu dire compartimenté mais au final, l'idée de parcelles est plus jolie). Si tu le découvres un jour ce titre, j'espère qu'il saura te convaincre!
@Alex : il est loin d'être dominant, je dirais simplement qu'il apporte une couleur locale. Mais tu as le droit de passer ton chemin.
@Clé : je pense qu'il pourrait bien te plaire pour tout ce que tu aimes justement et peut-être plus encore :)
Écrit par : c'era una volta | 14/03/2015
Pas trop glauque?
Écrit par : Mariejuliet | 16/03/2015
Écrit par : Lupa | 16/03/2015
@Lupa : mais non je t'assure qu'à part la description des corps (que l'on retrouve dans 99% des enquêtes policières et que je trouve au final très médicale et pas glauque outre mesure), il n'y a rien de trash dans cette histoire. On est très loin d'un polar gore ou sanglant. Je l'ai trouvé plutôt subtil. Je te promets qu'il n'y a rien de violent, beaucoup de choses se passent du côté du mental/psychologique. :)
A presto okay!
Écrit par : c'era una volta | 16/03/2015
Écrit par : stephanie plaisir de lire | 17/03/2015
Écrit par : c'era una volta | 30/03/2015
Écrit par : Licorne | 31/03/2015
Sinon ne t'y trompe pas, il n'y a pas de portes qui claquent ici et s'il y a un côté fantastique il tient plus aux légendes du coin en ambiance de fond qu'autre chose.
Mon intérêt je l'ai effectivement trouvé du côté du traitement psychologique du personnage principal.
Si ça t'intéresse et si tu veux, je peux le faire voyager jusqu'à toi sans souci, y a qu'à demander!
Écrit par : c'era una volta | 31/03/2015
Tu as tout dit. Comme toi, ce livre m'a vraiment conquise, J'y pense souvent et je pense que je vais aller à Elizondo. Hâte de lire le tome 2 et retrouver Amaia. L'histoire familiale m'a aussi beaucoup porté. C'est ce que j'ai préféré , je pense. Merci pour ce beau billet. Biz
Écrit par : stellade | 01/04/2015
J'étais encore à la librairie tout à l'heure et j'ai encore pris le tome2 en main... et je l'ai reposé...
Patience!
Et j'espère que cette nouvelle enquête (dont le synopsis m'a mis l'eau à la bouche) va nous transporter encore une fois. Qui sait ce que nous découvrirons encore sur Amaia et sa famille.
bisouS
Écrit par : c'era una volta | 01/04/2015
Écrit par : Licorne | 07/04/2015
Écrit par : c'era una volta | 07/04/2015
Écrit par : dasola | 28/04/2020
Le boulot, la fatigue me mettent la tête à l'envers...
Bref, comme tu dis c'est une extrêmement sympathique trilogie. Une belle découverte pour cette autrice et puis, le cadre, le côté mythologie basque mêlé à cette enquête, c'est succulent.
Bonne lecture de la suite.
Écrit par : ite | 08/07/2020
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