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01/05/2013

Un léger bruit dans le moteur - Jonathan Munoz, Gaet's

Un léger bruit dans le moteur,Jonathan Munoz,tueur en série peu commun,bad village people,faites des gosses!Des morts à la pelle... pas mécanique!

Un village, de ceux qu'on appelle trou du c... du monde, de ceux où ne s'arrêtent que les corbeaux et le facteur de temps à autre ou un pauvre type en panne. Des habitants aux faciès effrayants, de petits esprits et de drôles de moeurs pour certains. Un petit garçon serial killer qui ne demande qu'à nettoyer ce village de tout ce qui vit, méticuleusement et sans complexe ni culpabilité, seulement animé par la haine qu'il éprouve pour tous.

Se promener aux Quais du Polar, repérer le coin bande dessinée et là, flasher sur cette couverture, d'abord pour ses tonalités, puis être intriguée par l'image, un garçon qui dissimule dans son dos une main tenant un couteau. Je le prends, le feuillète. Adjugé, vendu. Ce trait de crayon-là, appuyé correspond à ce que j'aime. Les tons bichromes (ce fameux bleu nuit que j'affectionne particulièrement, et ce jaune/vert un peu sali), les premières images... Je suis conquise avant même de l'avoir lu de bout en bout.
Je n'ai pas pu attendre d'être rentrée, je l'ai à moitié lu dans le métro, regrettant presque que mon trajet ne soit pas plus long pour me permettre de rester plongée dedans jusqu'à la fin.

Il me faudrait d'abord vous dire qu'Un léger bruit dans le moteur est un one shot, l'adaptation du roman de Jean-Luc Luciani (auteur que je ne connaissais d'ailleurs pas).
Si le titre ne laissait pas supposer du contenu, j'aurais quand même dû me douter qu'avec une telle couverture, il ne pouvait s'agir d'une histoire de mécanicien posant torse nu et plein de cambouis auprès d'une voiture en réparation. Las, las mesdemoiselles et messieurs (why not?), il faudra vous satisfaire d'une assemblée de villageois au regard peu vif pourris et pourrissants dans leur médiocrité et ce n'est pas le prêtre décrépi qui va sauver tout ce "moche monde".
Mais alors, qu'est-ce qui peut bien animer ces pages et avoir retenu la lectrice que je suis?
Ben voyez-vous, c'est notre petit narrateur principal. Pas une bouille d'ange pourtant, juste un 'tit air narquois comme ça et un sale petit sourire qui fait un peu froid dans le dos. D'ailleurs, le gamin ne souhaite pas tromper son monde, les "c'est pas moi qu'a fait ça!" en pleurnichant ce n'est pas pour lui. Non, lui il entre dans le vif du sujet et ne fait aucun secret des plans macabres qu'il prévoit pour sa famille, ses "compagnons" de jeux et chaque habitant de ce bled.
"Je suis un enfant tueur". Le ton est donné! Ôô

Surprenant et déroutant non un serial kinder killer? Fascinant peut-être aussi quelque part... Dérangeant? Pas tant lui que les images. Comment vous dire que je n'ai ressenti à aucun moment de sentiments d'antipathie, de rejet pour cet enfant, que je n'ai pas jugé répréhensible ses actes (alors qu'ils le sont hein). Je ne me suis pas détournée avec honte de cette BD m'écriant "oh mais c'est horrible!" ou plutôt si, le "c'est horrible" je l'ai dit ou pensé mais en y ajoutant un "mais c'est tellement bon" souligné d'un franc sourire.

Serai-je un monstre dénué de morale? Stop au jugement intempestif! J'en appelle à la parenthèse Quais du polar et à l'avis de J.Munoz sur la question, recueilli lors de la dédicace. "Oui, c'est bizarre hein, malgré ses actes, ce gamin on ne peut pas le détester, il a un côté amusant". Ha! Mon honneur est sauf, même (surtout?) l'auteur le dit! ^^
Amusant... En fait, j'ai été assez sciée par le naturel avec lequel ce mioche procède, ses ruses, sa jubilation, mais aussi, ses désappointements lorsque certaines choses ne se passaient pas comme il le souhaitait... Des réactions enfantines auxquelles on ne s'attend plus vraiment.
Je dois dire qu'il est difficile de plaindre ces villageois... Si le meurtre d'enfants peut faire tiquer, je n'ai ressenti aucune pitié pour les adultes... Il faut dire que le tableau qui en est fait : des êtres cupides, véreux, racistes, abuseurs de petite fille appelle plus à la clémence envers les crimes perpétrés par le gosse à leur encontre qu'à un sentiment de compassion pour eux... Que la nature humaine est étrange! Suffirait-il donc pour pardonner des tueries que celles-ci soient commises contre des êtres abjectes? A méditer...

Le seul être qui m'ait touchée dans cette histoire est une petite fille, muette, abusée par l'un et l'autre et dont je fus heureuse de la fin qui lui fût réservée. Au milieu de toute cette noirceur, on entrevoit malgré tout une once d'humanité qui fait du bien.

Que vous dire d'autre sur cette BD?
Jonathan Munoz est un dessinateur de talent que je suis heureuse d'avoir découvert. Ce trait de crayon bien appuyé, le tracé, les tons choisis mettent parfaitement en oeuvre l'histoire de Luciani. C'est comme si aussi, ils savaient saisir le lecteur et lui révéler tout ce que ressent ce gosse, la petitesse de ces autres gens, la tristesse de ces paysages et de ces conditions humaines et, en extrême limite, une petite touche de bonté là où on ne l'attend plus. C'est glauque mais c'est bon, c'est sombre mais c'est beau.

06/03/2013

Les Harmoniques (Beau Danube Blues) - Marcus Malte

les harmoniques,marcus malte,polar 100% noir,sur un air jazzy,histoire d'une vie histoire d'un conflitSur un air de toi... le blues du jazzman

Dans un entrepôt, on retrouve les cendres de Vera Nad, fille de l'Est, amatrice de jazz. Mister, pianiste noir au club de jazz rue du Dauphin-Vert qu'elle fréquentait, était devenu son ami. L'homme secrètement amoureux de la jeune femme ne croit pas aux aveux des deux lascars arrêtés par la police. Comprendre pourquoi et par qui Vera a été tuée vire chez lui à l'obsession. Alors, aidé de son meilleur ami Bob, le chauffeur de taxi ch'ti philanthrope, il va mener son enquête. De révélations en révélations, les deux hommes ne s'attendaient pas en suivant les derniers pas de Vera à plonger jusque dans l'horreur du conflit serbo-croate.

"Mister dressa un index.
-Les harmoniques... dit-il.
Miloslav leva les yeux au plafond, s'attendant peut-être à en voir surgir des créatures extraterrestres.
-Harmeûniques? C'est quoi, harmeûniques?
-Les notes derrière les notes, dit Mister. Les notes secrètes. Les ondes fantômes qui se multiplient et se propagent à l'infini, ou presque. Comme des ronds dans l'eau. Comme un écho qui ne meurt jamais. [...]
-Ce qui reste quand il ne reste rien, dit Mister. C'est ça, les harmoniques. Pratiquement imperceptibles à l'oreille humaine, et pourtant elles sont là, quelque part, elles existent."

En musique j'aime à peu près tout, sauf le jazz pur et dur (au grand dam de mon art-thérapeute qui, a chaque séance, tente de m'initier au genre ^^). Et pourtant, parce que je ne suis pas complètement obtuse j'ai choisi d'écrire mon article en écoutant la sélection musicale fournie par l'auteur pour prolonger la lecture de son roman. Des morceaux que j'aime y sont d'ailleurs présent (les moins "jazzy"), si ça vous dit : playlist Les Harmoniques :)

Comment vous dire à quel point j'ai aimé ce polar noir de chez noir? Même le chocolat pâtissier ne l'est pas autant! Je n'avais jamais entendu parler de Marcus Malte ; ce roman et l'écrivain sont donc une totale découverte pour moi et quelle découverte! Et pourtant ce n'était pas gagné, il y a 15 jours, j'avais dû interrompre ma lecture ne parvenant pas à rentrer dans l'histoire. Je suis contente que ma 2ème approche fut la bonne :)

Les Harmoniques c'est une partition magistralement orchestrée par son auteur. Un duo solide, sincère, viril, un peu fou, triste et tendre mais aussi par moment très drôle ( La scène où ils miment une fausse panne dans le champ d'un agriculteur est à mourir de rire). Deux hommes donc qui semblent se connaître par coeur, profondément liés l'un à l'autre par une amitié qui semble être à toute épreuve. Mister, c'est le musicien qui a eu un coup de coeur pour Vera un soir de représentation, qui est hantée par son souvenir, par la flamme non éteinte d'un amour qu'il n'a pas su exprimer et, qui est prêt à faire brûler son âme en enfer pour résoudre le mystère de ce crime. Bob, c'est l'ami de toujours, un ex-prof de philo, maître es-langues, amateur de jazz & blues, qui a converti sa vieille 404 peugeot en yellow cab. Il fait office de vieux briscard paternaliste et protecteur envers Mister qu'il ne ménage pas toujours pour autant. Cette relation qui est née aussi, on le devine, autour de la musique apporte une profondeur aux deux personnages. Mister c'est le gars peace & love, impulsif, ténébreux, mélancolique. Bob c'est le réfléchi, pondéré, roublard et taquin. Un sacré duo comme on en voit parfois au cinéma. Mais qu'on ne s'y trompe pas, ils ont du vécu et le regard qu'ils jettent sur le monde n'est pas forcément angélique. A eux, on ne la fait pas même si notre pianiste amoureux devra faire face à certaines désillusions.
A côté de notre duo viennent se greffer, pour les raisons de "l'enquête", des personnages haut en couleurs. Attachants parfois, comme cet autre duetto de rue formé par Milosav et Dobrica Pesic, des slaves musiciens de rue, compatriotes de Vera qui joueront leur part à la fois grave et drôle dans l'histoire.
Intéressant et pour qui on ressent peur et pitié, je pense à Josef Kristi, peintre manchot et drogué qui a cotoyé Vera dans ses derniers instants et l'a figée à jamais sur toile mais, qui cache une histoire personnelle bien moins poétique.
Pittoresque, amusant par ses interventions et la représentation qu'on s'en fait, Romano le barman gay de l'enseigne jazzy où Mister joue. Epris de ce dernier, ses interventions sont toujours hilarantes.
Et puis, biensûr, il y a Vera, l'ange de l'Est rattrapé par ses bourreaux de guerre. Elle est là, fantôme permanent de Mister, beauté convoitée par ces messieurs ; elle est là, présente parfois en filigrane. Elle est le moteur de l'histoire, elle est le drame, celle par qui tout arrive et tout fini. Celle dont l'histoire personnelle nous ouvre les yeux sur le drame de tout un peuple. Celle qui un jour malgré les opportunités est partie à la dérive poussée dans ses retranchements. Mi-ange, mi-démon.

Il y a d'autres personnages qui apportent aussi leur lot de mystères et fausses pistes, d'autres portraits qui vous donnent envie de vomir ou vous glacent les sangs. Rien n'est laissé au hasard dans la distribution des rôles, chacun est là pour apporter quelque chose à l'intrigue ou au roman.

Les Harmoniques c'est un polar noir dans toute sa splendeur parce que qui dit noir dit glauque, sombre, dur, violent et même dérangeant. Alors on aurait pu supposer que la noirceur, la dureté de ce roman viendrait du meurtre de la jeune femme, de sa description mais non. Au final, dans la totalité du roman, la violence de cette scène n'est rien en comparaison de cette autre violence sur laquelle nos enquêteurs en herbe vont aboutir. Et là, on plonge totalement dans toute la puanteur et l'inhumanité des Hommes au travers de sous récits relatant, soit des conflits en ex-Yougoslavie, qui ne nous épargnent pas le détail de scènes de guerre et autres massacres de population, soit la vie de Vera avant sa mort, de son enfance à Vukovar, ville croate assiégée par les serbes durant 3 mois qui s'est vue transformée en charnier, jusqu'à Paris où elle rêvait de monter sur les planches et où, prise à son propre jeu, elle finira brûlée vive. Ces parties-là ne sont pas faciles à lire parce que l'on sort du fictif pour entrer dans une narration de faits de guerre qui ont existés, on reconnaîtra les noms de certains criminels de guerre. Marcus Malte ne se gêne d'ailleurs pas pour dénoncer dans son roman un système politique véreux, puant mais aussi la manière inutile dont sont intervenues les puissances mondiales dans ce conflit, privilégiant parfois les monuments aux individus. Ah, ça balance! Et dans tout ça, le lecteur n'est pas ménagé. On s'en prend plein la vue avec toutes ces scènes sordides dépeintes en détail. Fallait-il d'ailleurs que ce soit aussi violent? J'avoue que les larmes me sont montées aux yeux en lisant la souffrance, les actes de barbarie dont a été victime cette population.
Oui, c'était dur mais parfois il faut ça pour ne pas oublier, pour réfléchir, se questionner, dépasser le fictif de l'histoire qui nous est donnée à lire.
Et n'allez pas croire que cette partie réaliste dans le roman arrive comme ça sans lien direct avec l'histoire. Non, elle est profondément liée à l'histoire de Vera et de certains de nos personnages. Tout est parfaitement articulé et s'explique en regard d'elle.

Les Harmoniques heureusement sait aussi nous emporter vers des sommets plus légers. Notamment grâce à la musique qui vient rythmer les chapitres du roman. On découvre ainsi en introduction de certains les paroles traduites ou non de quelques morceaux de jazz ou de blues. C'est beau, c'est triste et pour le coup, là ce sont les oreilles qui en prennent un coup.
Quelques titres ou extraits, parfois en anglais dans le texte, viennent apporter un peu plus de tension au récit ou au contraire, nous permettent de nous évader un peu de toute cette noirceur. On ne lit plus, on écoute. J'ai d'ailleurs éprouvé à un quart du livre, le besoin d'assortir ma lecture de musique. Non pas celle de la playlist fournie par l'auteur, non, je lui ai préféré un medley des meilleurs morceaux de Norah Jones. C'était doux et apaisant, parfait pour accompagner le crescendo dans l'horreur de l'Histoire. Allez savoir, peut-être que mon inconscient réclamait quelque chose pour contrebalancer les images empreintent d'horreur qui s'imprimaient dans mon esprit. Ne dit-on pas que la musique adoucit les moeurs?
Marcus Malte a su aussi agrémenter son roman noir de vrais moments cocasses qui m'ont bien fait rire. Je vous ai déjà parlé de cette scène de la "panne". Mais alors, un autre grand moment de franche rigolade c'est celui où Renato, notre barman gay et amoureux de Mister (souvenez-vous), part dans un total délire quand le pianiste après s'être fait agressé revient à la "cave" lui demander s'il a de quoi ligoter quelqu'un... Et ce qui suit après est tout aussi amusant. Franchement rien que pour ces scènes-là, ça vaut la peine de lire ce polar. J'en souris encore :P

 Je terminerai en vous parlant un tout petit peu de l'écriture de Marcus Malte, très agréable. Malgré la dureté de certains passages, le roman ne manque pas de finesse. C'est rythmé comme une pièce de musique, parfois puissant et fort, parfois plus calme, joyeux et grave. Le style est plaisant, parfois tout en métaphores comme pour alléger la dureté de certains passages. Les Harmoniques se lit d'un trait parce que fluide, avec de nombreux interludes musicaux dans l'histoire. De quoi temporiser le flux des émotions qui nous traversent de part en part.
Bref, Les Harmoniques c'est à lire, à voir, à écouter!

Je vous laisse sur cet extrait :

"-Nous parlions, dit le peintre. Elle me parlait et je lui parlais. On se racontait. Il n'y avait rien de plus urgent à faire. Parce que ce que je savais, moi, c'était que ça viendrait d'un seul coup. Ça jaillirait comme l'éclair. Fulgurant. Et il faudrait que je sois prêt à ce moment-là. Prêt à recevoir, et prêt à rendre. Alors, je me tenais à l'affût. J'attendais. Je guettais. Et quand c'est venu, effectivement, je n'ai eu qu'à exécuter. Ma main n'a pas tremblé. Ma main savait déjà. Mon coeur savait déjà. Bien avant que cela n'atteigne mon esprit. Quand c'est venu il ne m'a pas fallu plus de quarante huit heures pour tout réaliser. Toute la série. Toutes les toiles à la suite. Pas manger, pas dormir, peindre, peindre, peindre, tout peindre tout fixer avant que ça ne reparte. J'avais peur de ça : que ça s'en aille comme c'était venu, aussi vite, et que je me retrouve la main vide, le coeur vide, l'esprit déserté. J'avais peur de perdre ça. J'avais peur de la trahir."

Je remercie Livraddict pour ce partenariat et les éditions Gallimard (Folio policier). Je suis conquise par cette lecture et compte bien poursuivre ma découverte de cet auteur.

09/02/2013

Le chien gardien d'étoiles - Takashi Murakami

Le chien gardien d'étoiles_Takashi Murakami.jpgParce que c'était moi, parce que c'était toi.

Une équipe de policiers identifie un cadavre humain dans une épave de voiture abandonnée dans un champ de tournesols. A côté un autre cadavre, celui d'un chien.
La petite Miku vient de recevoir un chiot qu'elle appellera Happy. Happy est heureux, Miku joue avec lui de temps en temps, la maman même si elle le gronde parfois le nourrit et puis, "papa" l'emmène toujours en promenade et lui parle à lui plus qu'il ne parle à sa femme.
Mais ce bonheur va basculer, "papa" malade perd son travail ; femme et fille l'abandonnent avec presque rien. "Papa" est contraint de vendre l'appartement et de rembourser les dettes avec l'argent. Alors avec son chien Happy, le seul à lui être resté fidèle et dévoué il décide de partir vers le Sud, là où les choses devraient s'arranger pour eux deux. Un voyage fait de nombreux rebondissements, un voyage au bout du chemin, au bout d'eux-mêmes mais qui scellera entre eux un lien indéfectible. Fin de la première partie
Transition sur une tombe, des tournesols : deuxième partie.
Okutsu est assistant social, il travaille d'arrache-pied sans se laisser toucher par les différents dossiers qu'il gère. Jusqu'à ce qu'on l'appelle pour récupérer un corps non identifié pour lequel il doit organiser les funérailles. Il y a un chien aussi lui précise-t-on. Ce cas va le toucher particulièrement, raviver en lui des souvenirs, des regrets et ramener en lui un peu de compassion pour les siens, lui faire comprendre qu'une fin n'est pas malheureuse dès lors qu'on est deux, en paix avec soi-même et les autres.

Takashi Murakami signe avec Le chien gardien d'étoiles, une oeuvre d'une puissance émotionnelle terrible.
Hommes ou animal arrivent à nous émouvoir, chacun à leur manière. Par les mots, sans les mots, par une attitude, par une absence de réactions.
Murakami nous livre cette histoire par le biais de 3 narrateurs : le chien Happy, le monsieur "papa", l'assistant social Okutsu.
La voix d'Happy est souvent faite d'onomatopées qui rendent le texte vivant et créent une véritable interaction avec son maître mais aussi avec le lecteur. Il amène par ses incessantes interpellations "papa!", "papa?", "merci papa!" une véritable touche de tendresse au récit. Mais la réflexion est aussi présente dans les pensées du chien, fin observateur, réceptif aux émotions de son maître et aux évènements, il ne laisse rien passer de ce qu'il voit et y va de sa remarque :
"Quand les choses changent petit à petit, on ne s'en rend pas toujours compte sur le moment. Mais en réalité, ça finit par faire un gros changement."

"L'homme est sans fard face à un chien. Papa, dès que tu es parti, le petit garçon a pleuré en me serrant très fort dans ses bras."

Monsieur "Papa" est lui un homme placide qui vous remue de l'intérieur. L'auteur aurait pu choisir un personnage tout en rébellion face à ce qui lui arrive mais non, il a créé un homme qui prend la vie comme elle vient, qui ne s'insurge pas contre les injustices et coups du sort dont il est victime et ne rend personne responsable de ses soucis. Résigné, fataliste? Lucide, il constate et accepte, point.
"Tu sais quoi? La dernière réforme ne nous a apporté que la pauvreté. Ça et rien d'autre! Que veux-tu, c'est ainsi... La plupart du temps les gens rejettent la responsabilité de leur malheur sur les autres. Cela les aide à maintenir un semblant d'équilibre mental."
Attention, il n'est pas absent de réactions "papa", ce n'est pas un être froid, bien au contraire. On sent dans son comportement, ce "dialogue" qu'il tient avec son chien, ces mots qu'il a, beaucoup de lucidité, d'amour et parfois aussi une sourde colère, de la tristesse, de la compassion. Il ne se dégage aucune froideur de lui. Peut-être bien à cause de la présence d'Happy à ses côtés d'ailleurs. Car c'est par son attachement et les sacrifices qu'il consent pour Happy que toute le côté humain et chaleureux de cet homme s'exprime. Il se fait, se veut rassurant tout de même, positif malgré sa situation et porteur d'un certain espoir malgré tout parce qu'il aura savouré des instants de bonheur à sa mesure et que ça aura suffi à le combler.
"Je n'ai plus rien et pourtant ta seule présence suffit à me rendre heureux!"

"C'est notre dernier banquet, Happy. Profitons du moment.
Alors, papa a regardé la mer fixement... pendant longtemps... très longtemps. Puis il a mangé son plat du jour en prenant tout son temps, jusqu'au coucher du soleil."

Takashi Murakami aurait pu s'arrêter là de son manga mais non, comme il le dit en postface, il avait besoin de la 2ème partie "Tournesols" pour rendre hommage à "papa" et Happy.
Et pour ce faire, il choisit Okustu, un assistant social dont son collègue dit qu'il est "détaché de tout". Un homme qui se suffit à lui-même, un fonctionnaire dans toute sa splendeur : froid et blasé comme il y en a tant. Le cas de M.Maeda et de son chien va pourtant le toucher, raviver en lui des souvenirs douloureux, des regrets enfouis. Il va alors se lancer dans une quête pour identifier cet homme et ce qu'il découvrira va ranimer en lui la part d'humanité et d'empathie qu'il n'était plus apte à ressentir pour son prochain. Mais aussi et surtout le réhabiliter à ses propres yeux, lui redonner dignité et espoir.
"En fait, tu es le gardien d'une inaccessible étoile. Le gardien de l'impossible en somme... Mais tu as raison, il n'est pas absurde de regarder ce qu'on ne peut pas obtenir... Si on continue à désirer, c'est justement parce qu'on ne sait jamais ce qu'on obtiendra à la fin."

Drôle d'histoire, qui ne paye pas de mine avec son dessin un peu à l'ancienne, en noir et blanc mais qui saisit le coeur du lecteur d'une manière dont on ne s'y attend pas. Cela fait presque mal tellement on s'attache à ce monsieur et à son chien, tellement on voudrait ne pas avoir compris ce qui va arriver, ce qui arrive. Je n'ai pas pleuré mais, parce que j'avais voulu le terminer avant de partir au travail, j'ai gardé un certain temps en moi quelque chose comme une certaine tristesse, comme le sentiment d'avoir les larmes au bord des yeux...
Émouvant oui mais pas larmoyant ce roman graphique parce qu'avec la distance, en relisant certains passages, il y a de l'espoir malgré ce qui est revendiqué : un peu plus d'attention pour l'autre - homme ou animal-, un peu plus d'humanité, un peu plus de reconnaissance pour ces gens simples qui nous entourent, susceptibles de nous apprendre le bonheur pour peu qu'on s'arrête et qu'on les regarde vivre.

Entre parenthèses :
Avez-vous vu le film Hachi datant de 2009 de Lasse Hallström avec Richard Gere? J'ai beaucoup pensé à ce film en lisant Le chien gardien d'étoiles et je pense que notre Happy appartient à cette race de chiens japonais, les Akita inu. Ce film est inspiré d'un fait réel et il est très émouvant... J'ai pleuré comme une madeleine durant toute la seconde partie et encore après la fin du film...

17:36 Publié dans Boum boum | Lien permanent | Commentaires (7)