Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

13/07/2013

Un coeur noir - Olivier Ka

un coeur noir,olivier ka,roman d'apprentissage,un ami si différent,connais-toi toi-mêmeA la croisée des chemins...

Melkior Duris a 17 ans, une vie morne dont il essaie de sortir en essayant de briller aux yeux d'un petit caïd local. Alors il se lance dans le cambriolage d'une maison qu'il croit désertée de ses occupants. Las pour lui, le propriétaire est non seulement bien présent mais, en plus, l'a observé mi-inquiet, mi-amusé avant de lui révéler sa présence. Melkior se voit déjà en prison mais François, le propriétaire, est de ces hommes qui sortent de l'ordinaire et plutôt que de prévenir la police, il entame avec le jeune homme une conversation avant de lui proposer un "pacte" et de l'inviter à revenir. Le garçon quitte la maison encore tout étonné de si bien s'en tirer, se demandant pourtant si l'homme ne s'est pas joué de lui. Pourquoi alors accepte-t-il d'y retourner et de saisir la main que François lui a tendue?

Un coeur noir est de ces récits que l'on classe dans le genre roman initiatique. Le "héros", Melkior, est au début du roman un jeune adolescent mal dans sa peau, en quête de quelque chose, une forme de reconnaissance, celle qu'il ne trouve ni dans son travail, ni auprès de sa famille, ni auprès de son "clan".
Sur la pente de la délinquance, le jeune homme a été sorti de l'école prématurément et contraint de travailler. Mais malgré une attitude convenable, Melkior doit essuyer les critiques d'un patron qui le harcèle sans relâche.
A qui parler de cette situation qui le ronge? Ses parents? Non, Melkior se sent invisible en leur présence puisqu'ils n'ont d'yeux que l'un pour l'autre. La parole quand elle est possible est monopolisée par la mère, le père, lui, est éteint. Reste le petit frère bien trop jeune pour lui être d'un quelconque réconfort malgré l'attachement qu'il lui porte.
Alors Melkior cherche à exister autrement et, comme bien souvent avec la jeunesse désoeuvrée, il est en admiration pour le petit caïd du coin reconnu jusque dans la cité voisine. Melkior se prend à rêver de devenir son bras droit et cherche par tout moyen à lui prouver qu'il n'est pas une lopette.
Melkior file un mauvais coton, Melkior a le coeur noir, Melkior voit rouge, Melkior a l'âme bien sombre... Alors quoi on en reste là, tout est joué d'avance, c'est foutu pour lui?
Non, parce que souvenez-vous j'ai dit "roman initiatique" et qui dit initiatique dit cheminement. Celui que va faire l'adolescent bien entendu grâce à cet homme étrange, François qui saura l'écouter, lui parler, lui montrer son âme aussi. Et puis il y a ce père méconnu, bien moins éteint qu'il n'y paraît et qui saura atteindre son fils, lui livrer les secrets du passé et l'amener à la croisée des chemins où il s'est lui-même tenu bien des années avant.

Voilà de quoi parle Un coeur noir :  de chemins, de décisions, de rencontres fortuites, voulues, d'amitié, de tolérances et d'intolérances, de violence, de douleurs, de pardon, de colère, de défiance et de foi en autrui et plus encore de rédemption.
Très belle histoire que celle de cet adolescent qui se cherche, se perd, se trouve finalement là où il ne s'y attendait pas...

Un coeur noir est un titre abordable qui grâce à un style simple se lit vite et bien. Roman classé adulte mais dans lequel on sent l'empreinte jeunesse de l'auteur Olivier Ka, ce qui devrait en faire un roman à large public, entendez de 7 à 77 ans (bon peut-être pas 7, quoique c'est bien l'âge de raison non?). Alors certes on y trouve quelques clichés, mais peu importe ceux-ci, l'auteur parvient à rendre si intense l'histoire de son personnage principal que la lectrice que je suis s'est laissée investir par toutes les émotions délivrées dans ce récit, que ce soit le coeur noir > gris > blanc cassé de Melkior ou celui des autres protagonistes. Bref, j'ai aimé. Vraiment.

Extraits :

"Elle parle tout le temps, Valérie Duris. Sans arrêt. Melkior pense que sa mère est victime d'une sorte de maladie. La parlite, ou la blablature, quelque chose dans le genre. C'est une pathologie étrange, qui ne se présente qu'en présence des gens, et qui l'oblige à dire tout et n'importe quoi [...] Quand sa mère parle, c'est-à-dire en permanence, Melkior pense à autre chose. Avant, ça l'énervait. Maintenant il s'en fiche, de la même manière que les Irlandais se fichent de la pluie."

"Si seulement ses parents comprenaient ce que Melkior est en train de vivre, s'ils avaient la moindre petite idée de la manière dont le patron de Tarn Métal le fait souffrir, ils l'arracheraient de là comme on sauve un enfant des flammes."

"-Tu as raison, Melkior. La nuit où je t'ai surpris en train de me cambrioler, j'aurais dû me présenter : 'Bonjour jeune homme. Je m'appelle François et je suis homosexuel.' C'est tout à fait normal de parler de sa vie sexuelle dès qu'on rencontre quelqu'un. Toi tu m'aurais répondu tout naturellement : 'Melkior. Je me branle tous les soirs en pensant à ma prof d'anglais.' Voilà des présentations absolument ordinaires."

"Je crois que tu caches un autre Melkior en toi. Et j'ai l'intention de parler avec lui."

"Melkior a le sentiment d'avoir basculé dans une tombe ouverte, au fond de laquelle s'éveille un cadavre décomposé. Il a beau frapper le corps pourri à coups de talon, les mains décharnées de la dépouille s'enroulent autour de ses chevilles."

"Pour être comme je suis, il faut savoir se foutre royalement du regard des autres. On ne peut pas vivre comme cela sans être en parfait accord avec soi-même."

Je remercie Babelio et les éditions Plon pour ce partenariat fort appréciable et apprécié.

13/06/2013

Brooklyn - Colm Tóibín

brooklyn,colm Tóibín,enniscorthy,irlande,exil,rêve américain ou pas,émancipation,apprentissage,un regard qui déshabille les émotionsAmerican way of life

Années 50, à Enniscorthy (Irlande), Eilis Lacey vit avec sa mère veuve et sa soeur aînée Rose, ses frères eux ont quitté le pays pour l'Angleterre. Malgré son intelligence, ses diplômes en comptabilité elle ne trouve guère d'emploi à la hauteur de ses aspirations. Une opportunité se présente sous les traits du père Flood, un prêtre irlandais ami de la famille expatrié aux Etats-Unis. La jeune femme poussée par sa soeur accepte non sans crainte cette offre et s'expatrie à Brooklyn où commencera pour elle une nouvelle vie, une vie d'exilée certes mais surtout une vie de femme émancipée.

Ce livre m'a été offert il y a plusieurs mois par ma collègue Zaz, il traînait sur mon bureau (qui n'a plus rien d'un bureau...) envahi de bouquins. Ce jusqu'à ce que Stéphanie mon binôme du challenge Livr@deux pour PALaddict #4 ne me le propose en choix de lecture. Alors mon avis?

Je ne connaissais pas du tout Colm Tóibín et quelle bonne surprise! Cet auteur a le don de plonger le lecteur au coeur des pensées et sentiments de son héroïne. C'est simple, on vibre à l'unisson des émotions de la demoiselle. Les craintes, les espoirs, la nostalgie de son pays, la langueur des siens mais aussi l'exaltation, le coeur qui bat, le rouge qui monte aux joues, le regard qui se voile ou qui brille. Une écriture pointue, d'une minutie extrême, un regard qui perce l'âme et s'approche au plus près des personnages mis en scène et notamment de la jeune Eilis.

Suivre les premiers pas timides d'Eilis l'irlandaise dans ce Brooklyn des années 50, où les ethnies s'expriment encore fortement et ne se mêlent à priori pas, où les premiers noirs pénètrent pour la première fois dans les boutiques de luxe tenus par des blancs, où la réussite et les rêves sont encore possibles, où les femmes commencent à s'émanciper aussi c'était extrêmement intéressant, saisissant de réalisme et de justesse. Bref, ce qu'Eilis vit, on le vit, on le ressent profondément, intimement. On assiste avec plaisir à son éveil, à son affirmation de femme indépendante et amoureuse puis, parce que tout est trop beau, un évènement survient la rappelant au pays et, là, choix cornélien. On mesure le chemin parcouru, on s'interroge jusqu'à la fin avec elle, venant même à regretter que l'histoire s'arrête ainsi. Je suis restée sur une question, sur une interprétation insatisfaite de ce choix final qu'Eilis fait, un brin frustrée et me répétant "mais alors, mais alors"...

Brooklyn c'est un roman d'apprentissage, une oeuvre romanesque mais pas que, c'est surtout une histoire d'une riche intensité narrative où tout tient au personnage principal, Eilis bien sûr, mais aussi à ces autres figures féminines que l'on croise. Que ce soit la propriétaire ou les colocataires de la pension irlandaise où Eilis réside, que ce soit ces femmes du magasin où elle travaille encore mais aussi Rose, cette soeur aînée qui est en quelque sorte un modèle pour elle. Et puis il y a les hommes, le père Flood figure bienveillante, paternaliste, le frère d'Eilis lui-même expatrié en Angleterre, Tony l'italien conquérant et conquis et puis, l'irlandais qu'on n'attendait plus. On s'attache à notre Eilis sortie de sa réserve, partie prenante de sa nouvelle vie. On s'attache à ces personnages secondaires. On s'attache à cette histoire de coeur partagé entre le passé, ce qu'aurait pu être sa vie irlandaise et ce qu'est sa vie américaine.

"Pour chaque jour qui passait, elle aurait eu besoin d'un jour supplémentaire afin de l'assimiler."

Quelle belle découverte que ce roman, quel coup de coeur! Un petit conseil, ne lisez pas la 4ème de couverture, gardez la surprise entière.
Zaz, merci de ce cadeau! C'est un petit bijou, j'ai adoré.
Stéphanie, merci de m'avoir fait sortir ce beau roman de ma PAL. Tu étais curieuse de connaître mon avis alors voilà, j'espère qu'il te donnera envie :)

27/05/2013

Absences - Alice LaPlante

absences,alice laplante,alzheimer,meurtre,amitié,le vrai est au coffre,isolement psychologiqueÇa s'en va et ça revient...

La meilleure amie de Jennifer White, Amanda, est retrouvée morte chez elle, la main mutilée. Les soupçons se portent alors sur elle, le Dr White, chirurgien orthopédiste retraitée, la dernière personne à avoir vu la victime. Mais soupçonner n'est pas prouver et la police devra se livrer à une enquête soumise aux aléas de la mémoire défaillante de la suspecte. Car Jennifer souffre de la maladie d'Alzheimer et son état, qui s'aggrave de jour en jour, l'empêche elle-même de se rappeler les derniers instants passés avec son amie. Coupable, pas coupable? Bienvenue dans les méandres de la mémoire de Jennifer White!

Comment rendre hommage à ce livre comme je pense qu'il le mérite? J'ai envie de le défendre contre ces avis négatifs que j'ai lu avant et après ma lecture et de vous donner à vous qui allez parcourir ces lignes, l'envie irrésistible de le lire. J'ai le sentiment que mon billet va se démarquer parce que mon ressenti est clairement positif.

J'ai ouvert ce livre de 400 et quelques pages pour ne le refermer que 3 fois faute de temps pour le lire d'une traite. J'aime quand je ressens dès les premières pages tournées, l'envie d'aller de l'avant dans un roman. Plonger dedans et me laisser porter par l'histoire sans effort. Je n'ai à aucun moment ressenti cet ennui qui vous fait dire "allez accroche-toi, ça va sûrement finir par être mieux". Non, ce que je lisais était déjà suffisant à mon plaisir. Le texte est aéré, l'écriture agréable, le rythme en adéquation avec le contenu (mais ça je vais y revenir). Pour peu que l'on entre dans la peau du Dr Jennifer White, que l'on s'accroche comme elle aux bribes de souvenirs, Absences devient purement addictif.

Le point fort pour moi de ce roman est cette narration à la première personne, la "voix" de la Jennifer White lucide, qui se fait entendre avec de plus en plus de difficultés. Cette femme qui mène un combat de chaque seconde contre sa mémoire défaillante pour répondre aux sollicitations de son entourage, aux interrogatoires et contre-interrogatoires des enquêteurs. Est-elle en mesure de se rappeler ce qui a pu se passer, le veut-elle vraiment ou sa maladie lui offre-t-elle surtout un refuge contre l'accusation qui pèse sur elle?
Alors je suis là, moi lectrice, à suivre ses pensées, à recoller avec elle à coups de notes dans un carnet ou à coups d'éclairs de lucidité les souvenirs qui lui restent de sa vie, de sa famille, de cette relation pas si paisible que ça avec cette amie dont elle doit en plus, revivre à répétition l'annonce de la mort.
Je m'intéresse aussi à ces autres voix que l'auteure a choisi de distinguer par des caractères en italique. Il y a Fiona et Mark, les enfants de Jennifer. Il y a Magdalena, sa garde-malade et la voix par procuration d'Amanda.
Dans ce qui peut nous paraître que confusion, absence de trame j'ai trouvé, au contraire, que tout était clair et que l'auteure n'avait rien laissé au hasard. Dans les bribes de souvenirs, dans les échanges brouillons entre le Dr White et les autres, on en apprend des choses. Des secrets étouffés refont surface... Le vrai caractère de certains est mis à nu. Ces petites indications sont autant d'éléments qui permettent aussi d'essayer de trouver un mobile au crime, de s'interroger et remettre en question ou non la culpabilité de Jennifer White. Et si, et si quelqu'un d'autre avait profité de sa confusion mentale pour lui faire porter le chapeau?
On sait, on devine comme l'inspectrice que quelque chose est là, proche à jaillir de la mémoire de Jennifer pour infirmer ou confirmer sa culpabilité. C'est comme avoir un coffre sous les yeux et avoir perdu la combinaison du cadenas. C'est comme se dire "ah mince, je l'ai sur le bout de la langue" mais ça ne vient pas... Pas encore, peut-être jamais. Alors j'ai attendu, patiemment, sans même me dire "pfft il ne se passe rien", "pfft ça piétine". Non, rien de tout ça. J'étais dans la tête de cette vieille dame en train de reconstituer comme elle des pans de son histoire, lointaine ou proche, heureuse ou douloureuse, avouable ou non et je trouvais ça bon. Bon dans le sens où je ne m'ennuyais pas, au contraire!

En cela, je trouve aussi qu'Absences est magistral. Alice LaPlante a vécu 10 ans de la maladie de sa mère. Forte de cette expérience douloureuse, elle nous donne à lire un roman qui sonne terriblement juste quant à la la reconstitution de l'état mental propre à la maladie d'Alzheimer et à la détresse psychologique dans laquelle le malade peut se trouver. Elle aurait pu écrire une histoire inspirée de la réalité qu'elle a vécu mais non, elle a choisi une histoire fictive. Sur fond d'enquête autour d'un meurtre, elle nous donne à voir ce qu'est la maladie d'Alzheimer, pour la personne malade mais aussi pour l'entourage. La fragilité, la précarité, la perte de repères, la dépendance, la souffrance de vivre sa déchéance mentale mais, au milieu de tout ça,  il y a aussi à voir quelques sursauts pour garder sa dignité, pour préserver les autres aussi... C'est superbe!

Je ne porterai pas le débat sur la question du genre, j'en ai débattu oralement avec Soundandfury qui avait aussi ce partenariat en main. Je ne vois pas pourquoi certains étaient convaincus d'avoir un "thriller" en main. Sur la couverture est inscrit "roman"... La 4ème de couverture que j'ai lu ensuite pourrait laisser supposer que évidemment. Et certes le récit en possède quelques ficelles mais pas que. Ce serait réducteur alors qu'Absences c'est bien plus que ça, comme le souligne la citation du New York Times.
Je lui préfère amplement celle de S.J. Watson, auteur de Avant d'aller dormir (un autre titre qui avait eu des avis mitigés et que j'ai tout autant aimé et défendu) parce qu'elle dit tout et rend vraiment hommage à ce roman :

"Merveilleux. Cette exploration déchirante de la lente désintégration de l'esprit est profondément émouvante et complètement bouleversante, tout en étant passionnante. J'ai adoré."

Et encore une fois, je conseillerai aux lecteurs éventuels de se plonger directement dans le roman afin de ne pas avoir d'attente "thrillesque" particulière ^^

Quelques citations :

"Si j'apprécie mes chaînes, je serai libre."

"Au milieu de la douleur et de la colère, j'ai ressenti du soulagement, le soulagement d'être moi toujours vivante. Ainsi, à un certain niveau, j'envisage la mort comme une chose à repousser à plus tard. Ce n'est pas que je n'y pense pas -quand je suis dans mes mauvais jours mon état d'esprit est différent, il m'arrive alors de faire des plans pour mourir. Mais je ne me sens pas encore prête [...]
Aujourd'hui, je me sens vraiment bénie.
Non, l'heure n'est pas venue. Pas encore."

"Quelqu'un n'a-t-il pas dit un jour que répéter la même chose sans discontinuer en espérant un résultat différent était une manifestation de la folie?"

"Je me retire en moi-même. J'utilise toute ma volonté pour m'éloigner d'ici et partir ailleurs. Un cadran tourne dans ma tête, je retiens mon souffle et attends de voir ce qui va se passer. Les plaisirs et les risques d'un voyageur dans le temps."

"Accepter ses actions passées. Accepter les visions. Patienter en leur compagnie. A la fin, c'est suffisant."

 

Je remercie Livraddict et les éditions Robert Laffont pour ce partenariat encore une fois très agréable!