14/09/2012
La nébuleuse de l'insomnie - Antonio Lobo Antunès
Je me suis fait LOBO-tomisée...
"Je me suis tapi dans un coin les joues dans les paumes et j’ai pensé – le jour ne va pas tarder à se lever alors que le jour ne se lèvera jamais"
Et bien moi j'ai été heureuse que le jour se lève après avoir achevé cette lecture qui m'a bien malmenée et bien souvent plongée dans la confusion. Mais pourquoi me direz-vous? Parce que... et là je vais essayer de coller au style :
La nébuleuse de l'insomnie est un livre qui vous donne le vertige tellement le style est chaotique et consiste en un flot ininterrompu
-ou presque
de pensées, réminiscences, interrogations qui vous retournent le cerveau et tout ça tourbillonne dans un temps imprécis où l'on ne sait plus si ce qui est dit, c'était hier ou demain, si le narrateur est l'enfant ou l'adulte, le frère ou la femme, la cousine?
-l'idiot?
bref, c'est un désordre d'images, paroles qui se répètent à l'infini, de lambeaux de récits complètement décousus et qui s'enchaînent sans répit (il faut attendre la fin d'un chapitre pour voir arriver un "." salvateur). Petit extrait illustrant un style... déroutant :
"-Quelle vie
pas seulement ses traits, tout entière sans défense, fragile, ma mère l'enfant du naufragé entrant dans le réfrigérateur
-Disparaissez d'ici
et malgré tout le crayon
-Et nous
Chaque fois qu'il touchait le bureau, celui qui m'avait multiplié les os s'est avan
(sur le mur un type vêtu d'une blouse sévère m'a-t-il semblé et brandissant un livre mais je n'ai pas pu m'attarder sur la question)
cé d'un pas révérencieux
-Il a essayé de s'enfuir avant hier
ma mère abandonnant le réfrigérateur pour s'enfermer dans sa chambre [...]"
(J'ai souvent eu envie de crier "mais c'est quoi ce bordel?" ou "mais donnez-lui un somnifère que ça s'arrête!")
Prenez votre souffle, il faut s'accrocher pour tout saisir. A tel point que je me suis demandée si cette manière d'écrire était liée à une mauvaise traduction du portugais. Mais non, non, la traduction est paraît-il excellente et fidèle à l'écriture V.O. Je ne saurais dire si une telle écriture relève de la prouesse ou du dérangement psychologique. Quel esprit tortueux (torturé?) faut-il avoir pour "pondre" un tel récit? (C'est marrant quand j'ai vu les premiers Saw, je m'étais fait le même type de réflexion en me disant que le scénariste devait avoir un esprit sacrément tordu pour avoir inventé de tels pièges...). Bon, M.Lobo Antunès était psychiatre avant d'être écrivain... Je comprends un peu mieux du coup - Ce livre doit être un test!!!
Certains ont salué une écriture fantaisiste qui s'accorde "toutes les libertés", un style "d'une grande puissance poétique". Moi, je pense m'y être un peu perdue dans ce récit ou en tout cas, avoir été complètement déroutée par le style, ne pas en avoir saisi toute la... "beauté" (???) Je ne sais pas trop quoi en penser en fait. C'est vrai qu'il y a un moment où l'on s'habituerait presque à cette forme d'écriture, mais je regrette de ne pas y avoir vraiment adhéré parce que, du coup, j'ai eu bien du mal à me concentrer sur l'histoire en elle-même.
Ce que j'ai compris : souvenirs décousus d'un jeune adulte "autiste" (l'idiot) enfermé dans un hôpital psychiatrique qui nous ouvre les portes de son esprit. Esprit sans sommeil, tourmenté par les réminiscences d'une enfance où se croisent (mais pas vraiment) le grand père (despotique), la grand mère (malade), le frère (écrivain?), la tante (morte?), le commis (le père???), le père (ou pas...), la cousine (oiseau de mauvais augure), des bêtes que l'on tue (pauvres lapins). Confusion de souvenirs où la mort plane bien souvent, où les interrogations à la filiation sont permanentes, où la sauvagerie humaine perce confusément.
Quand je ne dors pas, est-ce que mon esprit divague autant?...
Comme me le disait Reveline, le titre n'est pas trompeur, c'est nébuleux à souhait.
Eh vous avez vu les copines malgré tout j'ai réussi à écrire quelque chose ! :p
*merci à Sound de m'avoir inspirée pour le titre ^^
15:16 Publié dans Gnè? | Tags : la nébuleuse de l'insomnie, lobo antunès, nébuleux vous l'avez dit!, idiot, insomnie, donnez-lui un somnifère, vive les virgules | Lien permanent | Commentaires (4)
11/09/2012
La pluie avant qu'elle tombe - Jonathan Coe
Un roman qui s'écoute...
"Une chose n'a pas besoin d'exister pour rendre les gens heureux, pas vrai?"
La vieille tante Rosamond est décédée. A Gil, sa nièce, revient la charge de nettoyer la maison. Elle y découvre des cassettes et, dans l'une d'elle un bout de papier qui lui indique que ces dernières sont pour Imogen (sa petite cousine aveugle "disparue"). Si elle ne la retrouve pas, elle devra les écouter elle-même. Les recherches de Gil n'aboutissant à rien, elle décidera un soir, accompagnée de ses 2 filles, d'écouter les dites cassettes qui viennent commenter 20 photographies.
Ces 20 photographies soigneusement choisies par Rosamond retracent l'histoire de 3 femmes qui l'ont marquée au fer rouge. 3 destins intimement liés à elle, 3 générations : Beatrix, sa fille Théa et sa petite-fille Imogen (vous suivez ?). 3 descendances qui traînent le même désamour familial de mère en fille, ce même rendez-vous manqué entre mères et filles que Rosamond avait déjà constaté entre Béatrix et sa mère Ivy. A l'époque du Blitz ses parents l'avaient confié à cette tante "distante et inaccessible" habitant Warden Farm. Rosamond soulignera l'importance de cette non-relation par ces mots :
"Il me paraît essentiel de ne pas sous-estimer ce qu'on doit ressentir quand on se sait mal-aimé par sa mère. Par sa mère, celle qui vous a donné le jour ! C'est un sentiment qui ronge toute estime de soi et détruit les fondements mêmes d'un être. Après ça, il est difficile de devenir une personne à part entière."
Si Rosamond s'est évertuée dans ses dernières heures à retracer cette saga, l'histoire de ces femmes qu'elle a jalonné de la sienne, c'est pour léguer - elle l'espère - à Imogen son histoire, l'histoire de ses origines, de sa famille. Pour qu'elle comprenne que son existence était "profondément juste" dans ce chaos maternel.
De Coe, c'est le premier roman que je lis (jusqu'au bout devrais-je dire puisque j'ai mis en pause depuis un certain temps Testament à l'anglaise). Ce monsieur a un vrai talent pour rendre les sentiments, pour nous faire vivre l'histoire de ces femmes. C'est une écriture grave, un récit emprunt de mélancolie, de nostalgie, emprunt de regrets (ceux de Rosamond bien souvent qui porte en elle la culpabilité de ne pas s'être suffisamment battue pour garder Théa et la sauver de la relation destructrice avec sa mère). Le procédé de la narration par le commentaire détaillé de photographies est très prenant, addictif. Il rend l'histoire vivante, bouleversante. On "écoute" et on voit.
Mais retenez bien ces mots de Rosamond : "Comme c'est trompeur, une photo. On dit que la mémoire nous joue des tours. Mais pas autant qu'une photo, selon moi."
Je repense à la fin et mon coeur se serre... J'aurais voulu encore, encore plus de photos, encore plus de cette voix de Rosamond mêlant sa propre histoire à celle de Beatrix, Théa et Imogen, j'aurais voulu que ça ne s'arrête pas comme ça.
C'est un coup de coeur... il s'en ressent d'ailleurs encore.
00:41 Publié dans Boum boum | Tags : la pluie avant qu'elle tombe, jonathan coe, photographies, saga, les relations mèrefille c'est compliqué, cassettes audio, une photo ça trompe énormément | Lien permanent | Commentaires (12)
08/09/2012
Méfiez-vous des enfants sages - Cécile Coulon
Les illusions perdues
Méfiez-vous des enfants sages, paru en 2010, est le deuxième roman de Cécile Coulon, jeune romancière d'aujourd'hui 22 ans. Il a pour cadre une petite ville de l'Amérique profonde. Ses personnages sont sous la plume de l'auteure tracés comme au crayon, avec le sens du détail. Et le crayon il est aiguisé!
Méfiez-vous des enfants sages est certes un roman court mais il n'est pas facile à aborder dans son début. Décomposé en 3 parties, la première met en scène les protagonistes du roman : "elle", "lui", "Eddy et Kristina", "la petite fille", l'un après l'autre et sans véritable corrélation. La narration se fait à la troisième personne sur un ton presque impersonnel et, donc oui, ça fait bizarre. Comment dire? On se sent quelque part comme complètement détaché de ce qu'on lit, pas touché par ces histoires. Du coup, avant d'aborder la suite, je me suis demandée si le roman allait se contenter de ça, faire défiler des tranches de vie. J'étais à la limite de me dire "mouais bof" mais quelque chose dans l'écriture, dans la manière de peindre ces vies m'a accrochée. Et j'ai bien fait...
Dans la deuxième partie tout s'éclaire, les pièces du puzzle "personnages" s'assemblent. "Elle" s'est mariée avec "Lui" et ils ont eu une "petite fille" qui elle, semble avoir élu domicile chez son voisin Eddy, un paumé... Tout se passe dans la même rue, Cold Street...
Le ton change, la narratrice adopte un ton personnel sous les traits de Lua "la petite fille", c'est son histoire maintenant qu'elle nous raconte, enfin... un pan de vie de l'enfance à l'adolescence.
Lua, petite fille heureuse, futée, précocement douée pour le business (à 5 ans, elle vend des réglisses dans la rue, elle loue ses supers baskets aux autres gosses de son école en échange de pièces sonnantes et trébuchantes, d'images ou autres ; elle achète des bonbecs qu'elle revend aux gamins de la campagne avec un bénéfice net...).
Lua qui jette pourtant déjà un regard acéré sur son entourage, à commencer par ses parents. "Markku et Kerrie. Deux atomes en veilleuse [...]" Un père, scientifique, s'intéressant plus à ses bestioles de laboratoire qu'à sa fille. Une mère, désabusée, lisant et relisant Sa Majesté des Mouches.
Lua qui, a l'âge de raison, vit un traumatisme qui la changera à jamais.
"Ce qui était né en moi, je le devais à mon père, endormi sur ses principes, oubliant qu'en ce monde, les gens ne vivent pas pour calculer des théorèmes en permanence. Il avait flingué en un rien de temps tout ce qui fait qu'une gamine est une gamine, mais pour comprendre ça, il aurait fallu que Père Markku ouvre grand ses yeux et détourne le regard de sa fichue boîte en carton percée de trous. Soeur Popeye s'est fait la malle pour venir se loger là-haut, blottie dans ma pâte à cervelle, ses huit membres serrant mon crâne jusqu'à l'étouffer."
Lua qui grandit, avec son araignée au plafond comme elle dit. Son regard d'enfant s'est transformé en un regard d'ado blasé, angoissé. Les visages qui la marque sont ceux d'êtres marginaux, amputés, héros négatifs à souhait. Eddy pour commencer, ex-drogué, figure bienveillante et omniprésente de son enfance à qui on ne peut, comme elle, s'empêcher de s'attacher. Kristina l'ex-copine borgne d'Eddy. James Freak (tout sauf un monstre), jeune professeur, beau comme un dieu, portant en lui la fêlure d'une vocation de pianiste raté (tout ça à cause d'un foutu sanglier qui lui a bouffé un doigt, dommage que ce ne soit pas celui du milieu qu'il dresserait bien volontiers contre Dieu...).
Oui, Lua grandit et comprend que tout n'est pas éternel, que la vie nous met des claques sans attendre le nombre des années et que ça peut faire mal. Face aux injustices qu'elle perçoit, aux vies gâchées, à ces vies qui ont renoncé, qui l'ont abandonnée Lua ne peut s'en prendre qu'à ce Dieu en qui elle crut un temps, le temps de l'enfance.
"Pendant seize ans, j'ai eu un pote plutôt beau gosse, avec ses cheveux longs et sa couronne d'épines, punk à souhait. Jusqu'à ce que la foi s'en aille comme un grain de sable entre deux rochers. J'ai perdu un copain et j'ai perdu une raison de me lever le matin. [...] Alors Dieu, ou Jésus, je vous ai toujours confondus de toute façon, prends tes cliques et tes claques, retourne là d'où tu viens, enlève-moi cette couronne à la con et trouve-toi des fringues propres. Cherche un taf, un vrai, fais-toi à manger le soir en rentrant, regarde la télé ou fais des mots croisés, appelle tes potes de la Cène et organise un barbecue avec merguez et sauce piquante, et surtout, ne me dis plus ce qui est bien ou mal, n'essaie pas de me montrer le chemin, parce que vu tout ce que tu as fait dans ta longue vie d'Eternel, il n'y a pas de quoi être fier. Vraiment pas."
La 3ème partie sonne comme un état des lieux de ce qui a été et n'est plus. Un constat rapide, sans appel.
Pourquoi cette lecture? Je passais dans les rayons de la bibli, je l'ai vu, on s'est plu... Enfin... c'est plutôt le titre qui m'a fait de l'oeil. Est-ce que j'en ai saisi la référence? Oui et non... Mais si vous êtes arrivés jusqu'ici vous aurez (je l'espère) compris que Méfiez-vous des enfants sages parle du douloureux passage de l'enfance à l'adolescence, de la perte des illusions, de cette candeur enfantine qui nous abandonne en chemin (pour peu qu'on ait eu une enfance protégée).
Le ton de Cécile Coulon dans ce roman est parfois cynique, ironique, triste mais ô combien juste.
00:01 Publié dans Bang | Tags : méfiez-vous des enfants sages, cécile coulon, jeunesse désabusée, il manque un doigt, et un oeil, con de sanglier, arachnophobie | Lien permanent | Commentaires (7)