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02/11/2012

Le destin miraculeux d'Edgar Mint - Brady Udall

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"Tu as quelque chose de spécial en toi, Edgar, un destin à accomplir."

Le destin miraculeux d'Edgar Mint nous raconte un pan de vie, celui du jeune Edgar Mint, petit garçon métissé (de mère indienne alcoolique et d'un aspirant cow-boy blanc qui n'assumera pas sa paternité) ayant survécu à l'écrasement de son crâne par la jeep du facteur à l'âge de 7 ans. De la réserve apache de San Carlos où il vivait avec Grand mère Paule après que sa mère l'ait abandonné, en passant par l'hôpital Ste Divine de Globe où il rencontrera quelques personnages hauts en couleur qui le suivront dans son évolution de manière plus ou moins pressante et bienveillante, jusqu'au pensionnat Willie Sherman, véritable enfer pour petits indiens rebelles et/ou orphelins où, entre souffre-douleur et amitié à la vie-à la mort, le petit Edgar perdra son innocence et sa naïveté ; l'Edgar adolescent trouvera la foi et sera ensuite placé chez une famille mormone, les Madsen de Richland. Mais, comme si chaque havre de paix trouvé lui était interdit, Edgar devra s'arracher à cette famille aimante et poursuivre son chemin avec pour ultime but retrouver le facteur qui lui avait roulé dessus et le libérer de sa culpabilité. Sa quête s'achèvera devant une porte à Stony Run, porte qui une fois entrouverte lui révèlera ce passé oublié d'avant ses 7 ans, avant que sa tête soit écrabouillée. La boucle sera ainsi bouclée.

Udall comme Irving avec Une prière pour Owen a su complètement me saisir par cette histoire. Deux auteurs américains différents, deux destins d'enfant différents et, si Irving a poussé plus loin dans l'histoire d'Owen pour nous raconter aussi sa vie d'homme, Udall s'est lui arrêté aux marches de celle d'Edgar nous laissant tout juste entrevoir ce qu'elle serait. J'ai ressenti à la lecture de ce roman ce que j'avais ressenti à l'époque de ma lecture du roman d'Irving, une profonde immersion dans l'histoire, une profonde empathie pour cet enfant. Un flot d'émotions qui me balayaient au fil des pages. Tantôt navigant en eaux tumultueuses, parfois en eaux paisibles, souvent en eaux troubles. Scrutant pages après pages cet horizon inquiétant qui se profilait pour Edgar, craignant de le voir englouti jusqu'à ce qu'enfin le livre se referme. Jamais je n'ai cédé à l'ennui. Ce roman, je le sais, va profondément me marquer comme cela avait été le cas pour celui d'Irving. Je me sens encore toute remplie de ces émotions qui m'ont traversée de part en part : sourire, rire, larmes, appréhension, révolte. A la fois tendre et dur, drôle et triste, doux mais horrible Le destin miraculeux d'Edgar Mint est un roman à vivre qui prend aux tripes!

Certains pourraient être gênés par le procédé de narration employé, alternance entre la voix d'Edgar "je" et la voix à la troisième personne "Edgar..." Peut-être un fait-exprès, fragmentation de l'esprit d'Edgar qui se regarde agir et tape noir sur blanc sa vie à la machine à écrire en nous la donnant parfois à lire. Udall montre au travers de ce destin d'enfant métis qui vient croiser d'autres destins aussi tragiques que le sien, toute la misère humaine d'une Amérique profonde avec ses minorités indiennes, ses êtres en perdition, blessés de la vie, mais qui toujours gardent en eux une forme de foi. Ce roman ne serait rien sans certains personnages. Je songe au Dr Pinkley, à Art, à Jeffrey, au directeur Whipple, à Nelson et Dents pourries, à Cecil, à la famille Madsen, à Rosa...

Extrait d'un passage qui m'a bouleversée parce qu'il sonne tellement juste, parce qu'il a aussi trouvé une résonance en moi :

"J'empoignai ma chemise et essayai en vain de la déchirer. Depuis l'instant où nous avions quitté le centre de détention, je ne cessai de prier, suppliant Dieu d'effacer tout ce que la femme avait dit à Clay. Dans la cabine du pick-up, puis en longeant les couloirs interminables de l'hôpital, j'avais conclu des marchés, promettant à Dieu de ne plus jamais pêcher s'il faisait en sorte que ce soit une erreur, un mensonge, un malentendu. J'aurais voulu avoir ma machine à écrire pour mettre mes promesses noir sur blanc afin qu'elles prennent un caractère définitif. Les mots que je murmurais dans le secret de mes paumes disparaissaient sitôt franchi le seuil de mes lèvres, mais je continuais quand même à les dire avec toute la foi que je puisais en moi : Je T'en supplie, je ferais n'importe quoi, je donnerais n'importe quoi pour que ce ne soit pas vrai, je T'en supplie. Mais il était bien là, la mort inscrite sur tout son corps en lignes d'ombre et de lumière. [...] Je voulais pleurer, rire ou crier, protester, mais les os et les muscles tétanisés, je me tenais là, tremblant de rage, tandis que bruissait le sac de Dum Dum serré dans mon poing.

En un instant, les minuscules flammes de croyance et d'espoir que j'avais allumées dans cette pièce s'éteignirent, ne laissant dans ma poitrine qu'un désir calciné, froid comme des cendres. Je voulais tuer le Dieu qui avait fait cela à [...], qui m'avait fait cela à moi. Il pouvait peut-être me pardonner d'avoir voler, me pardonner tous mes autres pêchés, mais moi, je ne LUI pardonnerais jamais cela."

 

Je remercie Soundandfury de m'avoir permis de découvrir cet auteur dont maintenant j'ai une terrible envie de lire les autres oeuvres! Une lecture pour une LC particulière : échanges autour du livre, lecture à une voix - la mienne ou la sienne - même si j'avoue que j'ai ensuite monopolisé le livre parce que j'ai adoré ça lire à voix haute pour quelqu'un, mais j'ai aimé écouter aussi ^^. Je disais donc lecture à une voix pour 4 oreilles (vive les nouvelles technologies qui permettent ce type d'échange à distance!). Retrouvez ici son avis (n'hésitez pas, c'est un billet avec des mots qui sonnent très justes) :)

30/10/2012

Books Appointment!

C'est Mardi c'est le rendez-vous de la Page 99 #4

99eme page.jpg

Un rendez-vous mis en place par Chasse-mouche autour d'une théorie particulière et auquel j'ai décidé de m'associer plus pour le fun que pour sa véracité ^^

De quoi s'agit-il? l'éditeur anglais Ford Madox Ford (1873-1939), auteur du Bon Soldat et créateur de The English Review avait un principe selon lui radical : "Ouvrez le livre à la page 99, et toute sa qualité vous en sera révélé."

Le principe : vous ouvrez votre livre en cours à la page 99 ou au 1/3, vous y puisez une citation qui vous parle et vous venez la poster sur votre blog. Un passage qui est au coeur de l'histoire mais qui pourtant ne doit pas trop en dire...

Tigre Tigre_MFragoso.jpg

Que cache la page 99 de Tigre! Tigre! de Margaux Fragoso ? (Extrait choisi)

"C'était un marqueur de statut social, pour une fille, que de venir tous les jours avec une coiffure différente ; durant l'année scolaire, combien de fois mes pauvres cheveux indisciplinés et sans forme avaient-ils été la risée de celles qui possédaient des tresses ou des nattes, à la française ou à la hollandaise, de pimpantes queues-de-cheval hautes ou à mi-tête, ou des macarons fantaisie. Un jour, je me plaignis de ce problème à Peter - je lui confiai mes angoisses sur l'année scolaire à venir, sur combien je craignais que ma vilaine tignasse ne déclenche à nouveau les moqueries - et il promit de me trouver un peigne qui démêle mes noeuds sans la moindre douleur.

Dès que Peter me montra le peigne magique qu'il avait acheté au marché aux puces pour vingt-cinq cents, je fus fascinée."

Une scène qui peut nous paraître anodine : une petite fille ayant des préoccupations de petite fille. Et puis, il y a Peter, le confident, celui qui a le pouvoir de dénouer et dédramatiser les soucis de la petite fille. Qui est ce Peter, homme, enfant, frère, ami, père? ...

26/10/2012

Padre Padrone : L'éducation d'un berger sarde - Gavino Ledda

Padre Padrone_Gavino Ledda.jpgDessine-moi une brebis

A Siligo, Gavino Ledda 6 ans fait son entrée à l'école, il est heureux, il progresse vite. Mais alors qu'il s'épanouit dans cet environnement auprès de ses camarades, son père Abramo Ledda, homme rustre, paysan et berger vient l'arracher de ce milieu sans se soucier de l'avis de la maîtresse. Il veut faire de son fils un pâtre, un berger. Peu importe l'âge de l'enfant, ses propres désirs, Gavino est l'aîné de ses enfants et il a besoin de ses bras. Le garçon est ainsi arraché à sa mère, ses frères et soeurs, à ses amis et plongé dans l'isolement au coeur de la Barbagia sauvage. Le rythme de travail auquel son père le soumet ferait pâlir aujourd'hui les organisations de lutte contre le travail des enfants. Ainsi, sous le joug de ce père tortionnaire, Gavino va grandir entravé dans toutes ses libertés auprès de cet homme obnubilé par ses bêtes, ses oliviers, sa terre, la richesse qu'elle porte en elle et qui pourrait le sortir lui et sa famille de la misère. Qu'importe pour lui d'y sacrifier ses enfants.

Après S'accabadora, Padre Padrone nous ramène en Sardaigne sur ce sol aride, porteur de tous les espoirs dont celui de se sortir d'une misère qui prend à la gorge ces familles sardes accablées par une vie de labeur et abusées par quelques propriétaires terriens. Gavino Ledda nous raconte son histoire, l'histoire d'un enfant esclave. Esclave de son père. Padre padrone, "père patron", le titre résume presque tout. Il n'y a pas de place pour vivre l'enfance auprès de cet homme tyrannique, maître plus que père qui ne supporte en aucune façon que son autorité soit remise en question.

"Contrevenir aux lois de mon père, c'était comme nier l'ordre naturel et immuable des choses."

Gavino se pliera aux exigences du pater, pour un temps... Ce qu'il apprendra, il l'apprendra à la rude, sous la pluie, sous la neige, jour et nuit, avec la fièvre au corps, à la limite de la mort. Entre amour et haine de cette terre mais avec la rage aussi de se sortir de cette condition.

Et l'échappatoire, la révolte contre l'autorité viendra d'abord par la musique. Gavino avec l'aide de son oncle (tous deux ligués contre Abramo Ledda), démontrera ainsi, en apprenant à jouer d'un accordéon en un temps record, des capacités d'apprentissage hors normes. Première étape vers la liberté, premier pas vers la différence entre lui et les siens. Puis viendra le temps où porté par l'exemple de ceux qui s'expatrient, Gavino rêvera de fuir sa condition à l'étranger.

"Quand telle est sa condition, on se regarde et on a quasiment peur de soi-même. On a honte de son état : le fait d'être nu et que ses racines ne tiennent pas à un sol inspire quelque répugnance, et on voudrait plonger sous terre, mais on n'y parvient point, pas plus que ces plantes infortunées. L'unique chance que l'on ait par rapport à elles, c'est les jambes : la fuite. Émigrer, se noyer dans le réseau noir des mines, voilà qui prend aspect de liberté : dans la désolation où l'on macère, l'émigration semble être la seule arme que l'on puisse retourner contre son milieu et grâce à laquelle on parvienne à cacher ses racines ; l'unique serpe qui permette de se frayer un chemin dans la forêt impénétrable, au moment où l'on est traqué par un incendie effrayant qui va nous brûler et nous réduire en cendres."

C'est finalement l'armée qui lui mettra le pied à l'étrier et lui offrira les meilleures opportunités pour accomplir son destin, un destin non plus tout tracé de berger mais d'homme libre et érudit. Autodidacte, Gavino se fera tout seul, certes avec quelques aides opportunes mais surtout par la force de sa volonté. En n'affrontant plus seulement son père mais un village tout entier loin de vouloir lui reconnaître une autonomie et un avenir autre que celui du travail de la terre.

Les anecdotes prêtent parfois à rire, parfois tristement à sourire. Certains qui ne comprendraient pas quelles pouvaient être les conditions de vie de ces enfants, jeunes hommes, pourraient s'offusquer de certains passages où il est question de relations avec des bêtes. Gavino Ledda nous donne à voir tout de cette misère humaine faite d'isolement et de solitude propre à la condition des bergers. Il ne nous donne pas à voir des portraits policés, ce qu'il nous montre ce n'est rien moins que ce qu'il a vécu, connu. Des hommes esseulés avec des envies à assouvir, devenus plus animaux eux-mêmes que leurs propres bêtes et ayant pour seule distraction et plaisir la masturbation à la va-vite dans un buisson ou derrière un arbre entre deux corvées.

Roman d'apprentissage, roman autobiographique, roman quasi sociologique : Padre Padrone nous montre certes la misère humaine et la dure loi de la terre mais il nous délivre aussi un vrai message d'espoir. Pour nous dire que nul ne doit vivre dans la fatalité de sa condition et, que si parfois l'on baisse la tête et l'on courbe le dos, c'est pour mieux se redresser ensuite, pour peu qu'on en ait la volonté.

A savoir Padre Padrone a été adapté au cinéma en 1977 et a récolté La Palme d'Or du Festival de Cannes la même année.

En aparté : J'ai en mémoire, ces paysans sardes montés sur leurs ânes croisés au bord des routes. Hommes bourrus aux traits durs, fatigués avant l'heure mais qui portaient dans leur regard cet attachement particulier à leur terre sarde et orgueilleux malgré tout de leur travail. Je les ai vu ces hommes rentrer fourbus de leur journée de travail et moi, je me souviens de mon orgueil d'enfant lorsque lors des promenades familiales "zietta" nous disait "tout ce que tu vois là et à perte d'horizon vous appartient". Je ne savais pas encore que d'autres hommes travaillaient à l'enrichissement de notre terre. Mes grands parents étaient eux des propriétaires terriens. Alors oui, j'ai eu "conscience" très tôt que mon père avait appartenu à une famille privilégiée, enviée et respectée. Ce qui ne m'empêchait pas de les craindre ces bergers et dans ma crainte il y avait aussi une forme de respect.