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05/11/2012

Tigre, Tigre! - Margaux Fragoso

Tigre Tigre!,Margaux Fragoso,pédophilie,enfance bafouée,manipulation et chantage psychologique,soumission,tout n'est pas si simple,on juge sans juger,victime ou pas,c'est le bazar dans mon cerveauJeux interdits

Margaux 7 ans vit dans le calvaire d'un foyer désuni, une mère dépressive et un père portoricain colérique et alcoolique. Aussi, quand un jour à la piscine où elle se trouve avec sa mère, elle voit des petits garçons qui s'éclatent dans l'eau avec leur "père", la petite fille décide de prendre part à leur jeu puis de s'inviter chez cette famille si gentille. Dès ce moment, elle va tisser un lien très particulier avec cet homme si affectueux, si drôle, si à même de la comprendre. Cet homme s'appelle Peter Curran, il a 51 ans et vit avec Inès et ses 2 garçons -dont il n'est pas le père- dans une maison qu'il retape petit à petit. Margaux va demander à sa mère de convaincre son père de leur donner la permission de rendre visite à cet homme plusieurs fois par semaine en échange de soirées libres. Margaux exulte de bonheur dans cette maison magique pleine d'animaux et auprès de ce nouveau "papa" qui accepte d'elle tout ce que son vrai père lui interdit par des règles hyper strictes et surtout parce qu'il lui donne cette affection dont elle manque tant. Ainsi, petit à petit Peter va dompter l'enfant-tigre, la dresser par de petits jeux et parvenir à faire d'elle ce qu'il veut. Enfant soumise, enfant conquise Margaux s'installe dans une relation ambivalente qui va durer à peu près 15 ans.

Je ne savais pas du tout à quoi m'attendre avec ce livre avant de commencer à le lire. Je ne sais plus à quoi je me suis fiée pour le choisir, couverture, titre, les autres qui ne me disaient pas plus que ça ou pour lesquels je pensais qu'il y aurait trop de demandes? Bref, mon choix s'est porté sur Tigre, Tigre! de Margaux Fragoso. Et, dès les premières pages, j'ai tout de suite accroché au récit. Me laissant moi aussi séduire par le personnage de Peter, par un certain mystère l'entourant, par les mots innocents de cette enfant, par ce que je percevais de dramatique dans sa vie familiale. Margaux... "Margaux? Tiens le même nom que l'auteure... c'est donc son histoire?..." Je vous l'ai dit je ne savais rien de ce livre, de son auteure. J'ai été cueillie par surprise, cueillie et emprisonnée par cette histoire autobiographique et ce jusqu'à la dernière page.

Comment vous dire exactement ce que j'ai ressenti pendant ma lecture de Tigre, Tigre! Une espèce d'aversion et, en même temps, le sentiment d'être happée par la construction de l'histoire. Aversion en regard des faits, en constatant la vérité crue et terrible de ce que vivait Margaux et où la conduisait cette relation avec Peter. C'est assez terrifiant oui cette histoire parce que telle qu'elle est livrée on ne parvient pas tout à fait à juger à chaque instant cet homme et même, on pourrait se laisser aller au contraire à la juger elle quand devenue adolescente elle se met à le provoquer sexuellement par ses jeux de rôle pervers (il faut comprendre que ceux-ci participent pourtant de mécanismes de défense : entendez "ce n'est pas moi qui cède, qui fait ça, qui accepte c'est cette autre que j'incarne) alors que lui semble hésiter, dit ne plus vouloir. On est troublé, perdu, malmené dans notre vision des choses. On comprend bien que quelque part cet homme représente une forme de "sain" échappatoire pour cet enfant qui souffre entre une mère suicidaire et les sautes d'humeur d'un père alcoolique, parfois violent dont on ne sait s'il aime ou déteste sa fille autant que sa femme. Et pourtant, ce père tyrannique, maladroit fait son possible pour extraire sa fille de cette menace qu'il pressent en tant qu'homme. Mais lui comme d'autres baisse les bras, laisse faire dépassé qu'il est par la situation, par sa fille qui lui échappe complètement, par la maladie de sa femme qui le ronge aussi. Bien entendu on s'interroge sur la passivité de certains, ont-ils vu, ont-ils compris ce qui se tramait sous leur toit? Pourquoi ce silence quand l'opportunité de tout arrêter s'est présentée? Pourquoi l'absence de réactions? On ne sait pas, on se rend juste compte que ce n'est pas si évident que ça de faire tomber un pédophile et, qu'à moins de le prendre sur le fait ou que sa victime le trahisse, c'est une affaire bien délicate que d'accuser sans preuve.

Tout le talent de Margaux Fragoso est de nous entraîner avec elle dans cet enfer qu'elle a vécu en nous faisant plonger dans un trouble effrayant où finalement on se trouve dans une espèce de circonspection ambivalente quant à notre jugement. Et ce que l'on comprend finalement à travers cette histoire et de notre propre réaction, c'est qu'un pédophile est un être extrêmement manipulateur, qui parvient à ses fins sournoisement, en attendrissant, en présentant un visage d'homme gentil, se pliant (nous laisse-t-on entendre) non à ses propres désirs mais à ceux de l'enfant, se sacrifiant même pour le bonheur de cette dernière car, lui, tout ce qu'il veut au final c'est donner du plaisir, aimer et non maltraiter comme le père. Même les accès de violence de Peter nous sont présentés comme une réponse à la propre violence de l'adolescente, au fait qu'elle le pousse à bout et mon dieu, on arrive à lui trouver des circonstances atténuantes à cet homme qui a eu sa part de traumatismes même si, au fond de nous, on sait qu'on ne devrait pas... Non au fond on sait que tout ça n'est pas normal et sans adhérer on est presque compatissant et c'est peut-être ça au final qui est le plus dérangeant. Tigre, Tigre! est un livre troublant qui nous donne à voir la part la plus vicieuse de la nature humaine, la plus complexe aussi.

Margaux Fragoso écrit ici un roman choc où elle ne se présente pas véritablement comme une victime... En tout cas, ce n'est pas le sentiment qui domine d'avoir affaire à une victime bien que ce soit véritablement le cas. Bref, lisez-le vous comprendrez que la psychologie des personnages est assez complexe et on ne sort pas totalement indemne d'une telle lecture.

'Je lui ai demandé si elle connaissait des pédophiles, dans son domaine.

"Des pédophiles. Bien sûr. Ce sont les détenus les plus agréables.

- Agréables ?

- Oui. Gentils, polis, ne causent jamais de problèmes. Vous appellent toujours mademoiselle, disent toujours oui madame, non madame."

Il y avait en elle quelque chose de calme qui m'a poussée à parler. "J'ai lu que les pédophiles rationalisent ce qu'ils font en le pensant comme consenti alors qu'ils usent de coercition." Ce point précis, que j'avais lu dans mon manuel de psychologie pathologique, m'avait frappée comme décrivant parfaitement la mentalité de Peter.'

 

Je voudrais remercier Priceminister et l'éditeur Flammarion pour ce partenariat dans le cadre de l'opération : Matchs de la Rentrée Littéraire 2012. Ma note pour ce livre : 16/20 (un petit clic vers la fiche du livre ci-dessous)

 

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02/11/2012

Le destin miraculeux d'Edgar Mint - Brady Udall

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"Tu as quelque chose de spécial en toi, Edgar, un destin à accomplir."

Le destin miraculeux d'Edgar Mint nous raconte un pan de vie, celui du jeune Edgar Mint, petit garçon métissé (de mère indienne alcoolique et d'un aspirant cow-boy blanc qui n'assumera pas sa paternité) ayant survécu à l'écrasement de son crâne par la jeep du facteur à l'âge de 7 ans. De la réserve apache de San Carlos où il vivait avec Grand mère Paule après que sa mère l'ait abandonné, en passant par l'hôpital Ste Divine de Globe où il rencontrera quelques personnages hauts en couleur qui le suivront dans son évolution de manière plus ou moins pressante et bienveillante, jusqu'au pensionnat Willie Sherman, véritable enfer pour petits indiens rebelles et/ou orphelins où, entre souffre-douleur et amitié à la vie-à la mort, le petit Edgar perdra son innocence et sa naïveté ; l'Edgar adolescent trouvera la foi et sera ensuite placé chez une famille mormone, les Madsen de Richland. Mais, comme si chaque havre de paix trouvé lui était interdit, Edgar devra s'arracher à cette famille aimante et poursuivre son chemin avec pour ultime but retrouver le facteur qui lui avait roulé dessus et le libérer de sa culpabilité. Sa quête s'achèvera devant une porte à Stony Run, porte qui une fois entrouverte lui révèlera ce passé oublié d'avant ses 7 ans, avant que sa tête soit écrabouillée. La boucle sera ainsi bouclée.

Udall comme Irving avec Une prière pour Owen a su complètement me saisir par cette histoire. Deux auteurs américains différents, deux destins d'enfant différents et, si Irving a poussé plus loin dans l'histoire d'Owen pour nous raconter aussi sa vie d'homme, Udall s'est lui arrêté aux marches de celle d'Edgar nous laissant tout juste entrevoir ce qu'elle serait. J'ai ressenti à la lecture de ce roman ce que j'avais ressenti à l'époque de ma lecture du roman d'Irving, une profonde immersion dans l'histoire, une profonde empathie pour cet enfant. Un flot d'émotions qui me balayaient au fil des pages. Tantôt navigant en eaux tumultueuses, parfois en eaux paisibles, souvent en eaux troubles. Scrutant pages après pages cet horizon inquiétant qui se profilait pour Edgar, craignant de le voir englouti jusqu'à ce qu'enfin le livre se referme. Jamais je n'ai cédé à l'ennui. Ce roman, je le sais, va profondément me marquer comme cela avait été le cas pour celui d'Irving. Je me sens encore toute remplie de ces émotions qui m'ont traversée de part en part : sourire, rire, larmes, appréhension, révolte. A la fois tendre et dur, drôle et triste, doux mais horrible Le destin miraculeux d'Edgar Mint est un roman à vivre qui prend aux tripes!

Certains pourraient être gênés par le procédé de narration employé, alternance entre la voix d'Edgar "je" et la voix à la troisième personne "Edgar..." Peut-être un fait-exprès, fragmentation de l'esprit d'Edgar qui se regarde agir et tape noir sur blanc sa vie à la machine à écrire en nous la donnant parfois à lire. Udall montre au travers de ce destin d'enfant métis qui vient croiser d'autres destins aussi tragiques que le sien, toute la misère humaine d'une Amérique profonde avec ses minorités indiennes, ses êtres en perdition, blessés de la vie, mais qui toujours gardent en eux une forme de foi. Ce roman ne serait rien sans certains personnages. Je songe au Dr Pinkley, à Art, à Jeffrey, au directeur Whipple, à Nelson et Dents pourries, à Cecil, à la famille Madsen, à Rosa...

Extrait d'un passage qui m'a bouleversée parce qu'il sonne tellement juste, parce qu'il a aussi trouvé une résonance en moi :

"J'empoignai ma chemise et essayai en vain de la déchirer. Depuis l'instant où nous avions quitté le centre de détention, je ne cessai de prier, suppliant Dieu d'effacer tout ce que la femme avait dit à Clay. Dans la cabine du pick-up, puis en longeant les couloirs interminables de l'hôpital, j'avais conclu des marchés, promettant à Dieu de ne plus jamais pêcher s'il faisait en sorte que ce soit une erreur, un mensonge, un malentendu. J'aurais voulu avoir ma machine à écrire pour mettre mes promesses noir sur blanc afin qu'elles prennent un caractère définitif. Les mots que je murmurais dans le secret de mes paumes disparaissaient sitôt franchi le seuil de mes lèvres, mais je continuais quand même à les dire avec toute la foi que je puisais en moi : Je T'en supplie, je ferais n'importe quoi, je donnerais n'importe quoi pour que ce ne soit pas vrai, je T'en supplie. Mais il était bien là, la mort inscrite sur tout son corps en lignes d'ombre et de lumière. [...] Je voulais pleurer, rire ou crier, protester, mais les os et les muscles tétanisés, je me tenais là, tremblant de rage, tandis que bruissait le sac de Dum Dum serré dans mon poing.

En un instant, les minuscules flammes de croyance et d'espoir que j'avais allumées dans cette pièce s'éteignirent, ne laissant dans ma poitrine qu'un désir calciné, froid comme des cendres. Je voulais tuer le Dieu qui avait fait cela à [...], qui m'avait fait cela à moi. Il pouvait peut-être me pardonner d'avoir voler, me pardonner tous mes autres pêchés, mais moi, je ne LUI pardonnerais jamais cela."

 

Je remercie Soundandfury de m'avoir permis de découvrir cet auteur dont maintenant j'ai une terrible envie de lire les autres oeuvres! Une lecture pour une LC particulière : échanges autour du livre, lecture à une voix - la mienne ou la sienne - même si j'avoue que j'ai ensuite monopolisé le livre parce que j'ai adoré ça lire à voix haute pour quelqu'un, mais j'ai aimé écouter aussi ^^. Je disais donc lecture à une voix pour 4 oreilles (vive les nouvelles technologies qui permettent ce type d'échange à distance!). Retrouvez ici son avis (n'hésitez pas, c'est un billet avec des mots qui sonnent très justes) :)