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12/11/2012

Portugal - Cyril Pedrosa

Portugal_Pedrosa.jpgSur mes traces...

Simon Muchat, auteur de bandes dessinées en mal d'inspiration invité pour un festival BD au Portugal est saisi par un je n'sais quoi qui le prend aux tripes. Ce court voyage le ramène à ses souvenirs d'enfance, à de courts séjours passés dans ce pays et qu'il avait quasiment rayés de sa mémoire. Son retour en France signera la fin d'une histoire et le début d'une nouvelle. Simon partira sur les traces de ses origines. Il ira d'abord à la rencontre de sa famille puis de la terre de ses ancêtres et c'est là qu'il se retrouvera.

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"C'était il y a très longtemps quand l'Espagne et le Portugal se faisaient la guerre. Un soir trois cavaliers fourbus vinrent frapper à la porte d'une des petites fermes de Marinha da Costa. Ils étaient espagnols et voyageaient avec un petit garçon. Ils demandèrent à dormir dans une grange pour la nuit. Les paysans impressionnés par ces hommes en armes n'osèrent pas leur refuser l'hospitalité. Au petit matin, le paysan qui les hébergeait, inquiet de ne pas les voir se lever s'approcha de la grange. Les cavaliers n'étaient plus là. Il ne restait que le petit garçon, endormi dans la paille. Les paysans le réveillèrent. Qui était-il? Les cavaliers allaient-ils revenir? Pourquoi l'avaient-ils laissé ici? Le petit garçon ne comprenait rien à leurs questions. Il répondait à chaque fois en espagnol -Muchacho... Muchacho-, comme pour s'excuse de n'être qu'un enfant. Les cavaliers ne revinrent jamais. Personne ne sut pourquoi ils étaient venus. Le petit garçon resta dans le village, devenu paysan parmi les paysans. Longtemps, longtemps après les descendants du petit Muchacho vivaient encore à Marinha. Ils étaient devenus la famille Mucha."

 Cela faisait des années que je ne m'étais pas plongée dans une BD. Portugal est bien plus que ça d'ailleurs, Cyril Pedrosa signe ici ce qu'on pourrait appeler un roman illustré de 261 pages. Et c'est assez puissant comme histoire. On ne la lit pas d'un trait (enfin si parce que je l'ai quand même lu en deux temps trois mouvements tellement j'ai apprécié), disons que ça se lit en un peu plus de temps qu'une BD "typique". Bref!

Portugal, c'est la quête de soi. Le vide qui est en Simon au moment où on entame l'histoire c'est celui d'un homme qui ne sait pas bien d'où il vient, ni trop bien où il va. Il est à un stade de sa vie où il bloque et n'est pas apte à se construire ou construire quelque chose avec l'autre parce qu'il lui manque des données. Et, il commencera à entr'apercevoir ce qui lui manque en revenant dans ce pays qui porte l'essence de ses origines. D'un seul coup la nécessité pour lui d'aller à la rencontre de sa famille qu'il s'est jusque là évertué à ignorer se fait pressante. La conscience familiale, d'appartenir à un groupe est donc le premier pas vers la compréhension de soi, de ce qui est semble-t-il le moteur de son moi profond.

"Est-ce que je suis le pays où je suis né? Ou est-ce que je suis peu importe le pays?"

Moi je poserai plutôt cette question : peut-on être sans connaissance de nos origines? Qu'est-ce qui nous définit? Je crois qu'on a tous besoin de savoir d'où l'on vient pour aller de l'avant. D'où l'importance de transmettre son histoire familiale à la nouvelle génération. Pedrosa dans Portugal nous dit aussi qu'il ne faut pas avoir honte de ses origines, cela ne sert à rien de les fuir parce qu'elles finissent par nous rattraper et parfois au moment où l'on s'y attend le moins. Peu importe les conflits familiaux, les querelles, les rancoeurs. La famille c'est la Famille et quoiqu'il en soit on l'aime, elle fait partie de nous comme nous faisons partie d'elle et, parfois, ce qui nous lie les uns aux autres c'est cet amour de la Terre, peut-être pas celle où l'on est né mais celle où l'on se sent entier.

Je ne suis pas assez experte pour parler du dessin. Les traits me semblent fins, les couleurs sont dans des tons majoritairement chauds. L'ensemble est assez plaisant. Et j'imagine que les personnages telles les vieilles dames portugaises, les paysages portugais sont tracés avec fidélité et doivent évoquer auprès des lecteurs portugais de beaux souvenirs de leur pays.

En aparté : Cette histoire je l'ai appréciée peut-être parce qu'elle m'a parlé. Une forme de réciprocité avec certains ressentis de Simon. Je suis une fille d'immigrés sardes, je ne suis pas née là-bas mais petite, chaque été, nous partions passer les vacances en Sardaigne. Petite je n'avais pas ce sentiment d'appartenance à cette terre. Mais en grandissant, de voyage éloigné en voyage éloigné je me suis rendue compte que j'avais le sentiment de laisser sur cette île que je quittais une partie de moi que je ne retrouvais qu'en y retournant. Et j'ai ressenti ça, le sentiment de plénitude d'être là-bas sur la terre de mes ancêtres et finalement la fierté d'appartenir à ces gens de là-bas. C'est ancré en moi, profondément.

Une lecture réalisée dans le cadre du Club de lecture de Lyon. Je vous propose de découvrir le très bel avis de Livrons-nous ici.

11/11/2012

Le vrai est au coffre - Denis Lachaud

le vrai est au coffre,Lachaud,Tom et Véronique,le vrai du faux,transidentité,drame,toi+moi=nous?Ni une ni deux...

Tom, 5 ans, déménage à la Cité des Fleurs, une cité pour cheminots en banlieue parisienne. Il s'épanouit entre ses parents, sa grande soeur Hélène, et Véronique avec qui il joue à la poupée. Il fait aussi la connaissance de Miguel le grutier avec qui il va nouer une grande amitié. Avec l'entrée en primaire, viennent les premiers troubles relationnels, les premières angoisses. Tom est marginalisé aux yeux des autres garçons, insulté, il met alors en place des stratégies d'évitement. Mais lorsqu'il part en classe de neige, plus moyen pour lui d'éviter ses camarades les plus virulents à son encontre. Un accident, Tom disparaît laissant seule Véronique évoluer. Adieu l'enfance, le temps des poupées est terminé. Place au dépassement de soi dans le sport où d'autres liens se tissent, où le verrou est un temps mis sur la colère et le désir de vengeance jusqu'à ce moment où froidement la mort sera donnée et où une nouvelle voie sera prise.

« - C'est quoi ton vrai nom en entier ? - Thomas Fabre. C'est mon vrai nom en entier mais c'est pas moi. Je veux que tu m'appelles Tom. Mes parents m'appellent Toto mais c'est pas moi non plus.

- Pourquoi tu leur dis pas ?

- J'ose pas leur dire. Ils croient que Toto c'est moi alors tant pis. C'est pas grave. »

Avec Le vrai est au coffre, on croit entrer dans une histoire anodine, celle d'un petit garçon de 5 ans heureux de vivre, jouant à la poupée avec sa petite voisine, déambulant entre les voies ferrées de sa cité, s'ouvrant à un nouveau monde. Puis, petit à petit, on sombre dans des méandres qui nous perdent entre imaginaire et réalité. L'histoire se complexifie. Le petit Tom semble porter en lui le poids d'une différence identitaire qui lui vaut le rejet de ses camarades.

« J'avais commis une erreur à un certain moment, j'en étais persuadé. Pourtant, j'avais beau chercher dans ma mémoire l'occasion qui avait pu me mettre en porte-à-faux avec les garçons de la Cité des Fleurs, je ne voyais pas. Encore moins avais-je le pouvoir de remonter le temps pour corriger cette erreur. Il fallait éviter le plus possible de provoquer leur hargne car chaque nouvelle agression verbale effaçait un peu plus les contours encore mal dessinés de ma personne. »

On est passé des jeux insouciants au drame, de la douceur à la violence sans savoir toujours avec certitude dénouer le vrai du faux. On croit soudain avoir tout compris et pourtant la conviction n'est jamais vraiment au rendez-vous. Véronique est là d'abord en arrière plan puis les choses basculent et c'est Tom qui s'efface pour lui laisser toute la place.

« - Tom, Je vais arrêter de te parler. A haute voix en tout cas. Ça fait quinze ans maintenant, on me prend pour une folle quand il m'arrive de t'apostropher. Tu es un petit garçon pour toujours et je ne suis plus une petite fille. Je n'ai pas la moindre idée de l'homme que tu serais en train de devenir. »

C'est peut-être un fait-exprès que Denis Lachaud est situé son action au pied d'une voie ferrée. Parce que dans ce livre le moins que l'on puisse dire c'est que nous avons le choix entre plusieurs chemins et, tout le talent de l'auteur est là, nous laisser choisir quelle voie nous allons emprunter pour donner sens à cette histoire. Certes différents indices sont semés ici ou là qui d'un seul coup viennent confirmer ou infirmer notre vision de l'histoire mais jamais l'auteur ne nous impose une direction... On se croit souvent remis sur les bonnes rails de la compréhension mais une fois la dernière page tournée on n'est pas tout à fait sûrs d'être arrivés en gare...

Le vrai est au coffre c'est comme un voyage sans fin où longtemps après on continue de se demander si on en a vraiment compris le sens et c'est surtout un roman qui amène une réflexion profonde sur la transidentité.

J'ai aimé le rythme, le questionnement permanent, j'ai souvent cédé à la confusion, aux doutes mais je n'ai pas lâché prise. Je crois avoir effectivement compris de quoi il était question, avoir cerné l'histoire mais le Vrai est probablement toujours enfermé dans le coffre de Lachaud. Ce qui compte pourtant, c'est probablement ce que moi je vais faire de cette part de vérité entr'aperçue ^^

05/11/2012

Tigre, Tigre! - Margaux Fragoso

Tigre Tigre!,Margaux Fragoso,pédophilie,enfance bafouée,manipulation et chantage psychologique,soumission,tout n'est pas si simple,on juge sans juger,victime ou pas,c'est le bazar dans mon cerveauJeux interdits

Margaux 7 ans vit dans le calvaire d'un foyer désuni, une mère dépressive et un père portoricain colérique et alcoolique. Aussi, quand un jour à la piscine où elle se trouve avec sa mère, elle voit des petits garçons qui s'éclatent dans l'eau avec leur "père", la petite fille décide de prendre part à leur jeu puis de s'inviter chez cette famille si gentille. Dès ce moment, elle va tisser un lien très particulier avec cet homme si affectueux, si drôle, si à même de la comprendre. Cet homme s'appelle Peter Curran, il a 51 ans et vit avec Inès et ses 2 garçons -dont il n'est pas le père- dans une maison qu'il retape petit à petit. Margaux va demander à sa mère de convaincre son père de leur donner la permission de rendre visite à cet homme plusieurs fois par semaine en échange de soirées libres. Margaux exulte de bonheur dans cette maison magique pleine d'animaux et auprès de ce nouveau "papa" qui accepte d'elle tout ce que son vrai père lui interdit par des règles hyper strictes et surtout parce qu'il lui donne cette affection dont elle manque tant. Ainsi, petit à petit Peter va dompter l'enfant-tigre, la dresser par de petits jeux et parvenir à faire d'elle ce qu'il veut. Enfant soumise, enfant conquise Margaux s'installe dans une relation ambivalente qui va durer à peu près 15 ans.

Je ne savais pas du tout à quoi m'attendre avec ce livre avant de commencer à le lire. Je ne sais plus à quoi je me suis fiée pour le choisir, couverture, titre, les autres qui ne me disaient pas plus que ça ou pour lesquels je pensais qu'il y aurait trop de demandes? Bref, mon choix s'est porté sur Tigre, Tigre! de Margaux Fragoso. Et, dès les premières pages, j'ai tout de suite accroché au récit. Me laissant moi aussi séduire par le personnage de Peter, par un certain mystère l'entourant, par les mots innocents de cette enfant, par ce que je percevais de dramatique dans sa vie familiale. Margaux... "Margaux? Tiens le même nom que l'auteure... c'est donc son histoire?..." Je vous l'ai dit je ne savais rien de ce livre, de son auteure. J'ai été cueillie par surprise, cueillie et emprisonnée par cette histoire autobiographique et ce jusqu'à la dernière page.

Comment vous dire exactement ce que j'ai ressenti pendant ma lecture de Tigre, Tigre! Une espèce d'aversion et, en même temps, le sentiment d'être happée par la construction de l'histoire. Aversion en regard des faits, en constatant la vérité crue et terrible de ce que vivait Margaux et où la conduisait cette relation avec Peter. C'est assez terrifiant oui cette histoire parce que telle qu'elle est livrée on ne parvient pas tout à fait à juger à chaque instant cet homme et même, on pourrait se laisser aller au contraire à la juger elle quand devenue adolescente elle se met à le provoquer sexuellement par ses jeux de rôle pervers (il faut comprendre que ceux-ci participent pourtant de mécanismes de défense : entendez "ce n'est pas moi qui cède, qui fait ça, qui accepte c'est cette autre que j'incarne) alors que lui semble hésiter, dit ne plus vouloir. On est troublé, perdu, malmené dans notre vision des choses. On comprend bien que quelque part cet homme représente une forme de "sain" échappatoire pour cet enfant qui souffre entre une mère suicidaire et les sautes d'humeur d'un père alcoolique, parfois violent dont on ne sait s'il aime ou déteste sa fille autant que sa femme. Et pourtant, ce père tyrannique, maladroit fait son possible pour extraire sa fille de cette menace qu'il pressent en tant qu'homme. Mais lui comme d'autres baisse les bras, laisse faire dépassé qu'il est par la situation, par sa fille qui lui échappe complètement, par la maladie de sa femme qui le ronge aussi. Bien entendu on s'interroge sur la passivité de certains, ont-ils vu, ont-ils compris ce qui se tramait sous leur toit? Pourquoi ce silence quand l'opportunité de tout arrêter s'est présentée? Pourquoi l'absence de réactions? On ne sait pas, on se rend juste compte que ce n'est pas si évident que ça de faire tomber un pédophile et, qu'à moins de le prendre sur le fait ou que sa victime le trahisse, c'est une affaire bien délicate que d'accuser sans preuve.

Tout le talent de Margaux Fragoso est de nous entraîner avec elle dans cet enfer qu'elle a vécu en nous faisant plonger dans un trouble effrayant où finalement on se trouve dans une espèce de circonspection ambivalente quant à notre jugement. Et ce que l'on comprend finalement à travers cette histoire et de notre propre réaction, c'est qu'un pédophile est un être extrêmement manipulateur, qui parvient à ses fins sournoisement, en attendrissant, en présentant un visage d'homme gentil, se pliant (nous laisse-t-on entendre) non à ses propres désirs mais à ceux de l'enfant, se sacrifiant même pour le bonheur de cette dernière car, lui, tout ce qu'il veut au final c'est donner du plaisir, aimer et non maltraiter comme le père. Même les accès de violence de Peter nous sont présentés comme une réponse à la propre violence de l'adolescente, au fait qu'elle le pousse à bout et mon dieu, on arrive à lui trouver des circonstances atténuantes à cet homme qui a eu sa part de traumatismes même si, au fond de nous, on sait qu'on ne devrait pas... Non au fond on sait que tout ça n'est pas normal et sans adhérer on est presque compatissant et c'est peut-être ça au final qui est le plus dérangeant. Tigre, Tigre! est un livre troublant qui nous donne à voir la part la plus vicieuse de la nature humaine, la plus complexe aussi.

Margaux Fragoso écrit ici un roman choc où elle ne se présente pas véritablement comme une victime... En tout cas, ce n'est pas le sentiment qui domine d'avoir affaire à une victime bien que ce soit véritablement le cas. Bref, lisez-le vous comprendrez que la psychologie des personnages est assez complexe et on ne sort pas totalement indemne d'une telle lecture.

'Je lui ai demandé si elle connaissait des pédophiles, dans son domaine.

"Des pédophiles. Bien sûr. Ce sont les détenus les plus agréables.

- Agréables ?

- Oui. Gentils, polis, ne causent jamais de problèmes. Vous appellent toujours mademoiselle, disent toujours oui madame, non madame."

Il y avait en elle quelque chose de calme qui m'a poussée à parler. "J'ai lu que les pédophiles rationalisent ce qu'ils font en le pensant comme consenti alors qu'ils usent de coercition." Ce point précis, que j'avais lu dans mon manuel de psychologie pathologique, m'avait frappée comme décrivant parfaitement la mentalité de Peter.'

 

Je voudrais remercier Priceminister et l'éditeur Flammarion pour ce partenariat dans le cadre de l'opération : Matchs de la Rentrée Littéraire 2012. Ma note pour ce livre : 16/20 (un petit clic vers la fiche du livre ci-dessous)

 

Tigre Tigre!,Margaux Fragoso,pédophilie,enfance bafouée,manipulation et chantage psychologique,soumission,tout n'est pas si simple,on juge sans juger,victime ou pas,c'est le bazar dans mon cerveau